Le RAMED, régime d'assistance médicale, ne dispose pas de ressources suffisantes pour éviter aux démunis de s'appauvrir suite à une maladie. Il fausse seulement le taux de couverture maladie communiqué aux organisations internationales. Sinon le Maroc a l'un des taux de couverture les plus bas de la région méditerranéenne. Soit moins du tiers de la population et non pas 62%.
Les incroyables inégalités entre les
fonctionnaires du secteur public et les salariés du secteur privé sont tout simplement anticonstitutionnelles.
L'AMO des
indépendants sera long à mettre en place, peut-être dans une décennie.
L'AMO
des parents des seuls fonctionnaires, exclut ceux des salariés du secteur
privé.
Les étudiants sont très peu nombreux à bénéficier de l'AMO.
Les dépenses
des ménages sont les plus élevées de la région MENA. Les dépenses de l'Etat sont les plus faibles: moins de 25%
Les
déserts médicaux subissent de plein fouet le déficit aiguë en médecins et en paramédicaux, etc.
Juriste spécialisé en Droit de la Santé et de la Protection Sociale, enseignant et consultant en stratégie et management de la santé, Saad Taoujni est également expert en tarification de l’activité médicale. Dans cet entretien, il nous ouvre les yeux sur bien des vérités qu’on a toujours tues.
Propos recueillis par Souad Mekkaoui
Maroc
Diplomatique - La Couverture Sanitaire Universelle (CSU)
adoptée à New York en 2015, par les 193 États membres de l’ONU, pourrait selon
la Banque Mondiale contribuer à la réalisation des 17 objectifs de
développement durable (ODD) à l’horizon 2030. Pour l’OMS, la CSU produit des
rendements élevés tout au long de la vie et favorise l'emploi et la croissance
économique inclusive. Elle est basée sur la protection contre les risques
financiers et la disponibilité effective des services de santé de qualité.
Qu’en est-il du Maroc, où la Constitution de 2011 garantit l’accès égal des
citoyens aux soins de santé, à la protection sociale et à la couverture
médicale ?
Saad Taoujni - Concernant le principe d’égalité, force est de
constater que la CSU au Maroc, dont les deux composantes sont l’AMO et le
RAMED, est fortement inégalitaire. A l’intérieur même de l’AMO, les
fonctionnaires et les salariés du secteur privé n’ont ni les mêmes droits ni
les mêmes obligations. Quant au régime des indépendants, il n’a toujours pas
démarré.
Pour le RAMED, c’est un régime d’assistance très faiblement
financé ou mutualisé. Son budget en 2019 est de 1,6 milliard de DH pour 12
millions de bénéficiaires, c.-à-d. le tiers de la population. (Soit 133 DH par
personne et par an).
En 2013, les dépenses directes des bénéficiaires du RAMED dans le
paiement des actes médicaux non fournis par l’hôpital et dans l’achat des
médicaments, du consommable et des prothèses indisponibles, s’élevaient à 4,58
Milliards de Dirhams selon les Comptes Nationaux de la Santé (CNS). Sans
ressources financières suffisantes et stables, ni d’organisme gestionnaire
spécifique, le RAMED n’est pas conforme à la CSU, puisque les patients
continuent à s’appauvrir pour accéder aux soins. Par conséquent, le RAMED ne
remplit pas encore les conditions minimales de la CSU. Le Maroc fausse les
données statistiques en intégrant les bénéficiaires du RAMED dans la couverture
globale de la population. Le taux de 60%, annoncé, le lundi 10 juin 2019, par
M. Anas Doukkali à la chambre des représentants couvre des réalités
fortement inégales. C’est dire que les assistés du RAMED sont encore très
loin du plancher des droits des assurés de l’AMO.
- Pour
les deux régimes de l’AMO, quelles sont les différences que présentent la CNSS
et la CNOPS ? Et pourquoi le Code de l’AMO, basé sur l’égalité, a
abouti-via des textes réglementaires- à une situation aussi inégalitaire entre
les salariés du secteur public et ceux du privé?
Les taux de cotisation à la CNOPS (CMAM) représentent 5% contre
6,37% à la CNSS. Les cotisations des fonctionnaires sont plafonnées à 400 DH. A
la CNSS, il n’y pas de plafond. A salaire égal, un cadre du secteur privé
paierait 5 fois plus que le fonctionnaire. Le retraité de la CNSS cotise à
4.52%, contre 2,5% pour l’adhérent à la CNOPS. Par ailleurs, les taux de
remboursement de la CNOPS (90%) sont supérieurs à ceux de la CNSS (70%). Par
contre, les taux de remboursement de la CNSS sont inférieurs en cas de maladies
chroniques.
Selon les CNS, les dépenses de la CNOPS représentent le double de
celles de la CNSS. Par conséquent, elle est déficitaire alors que la CNSS,
excédentaire avec plus de 24 milliards de DH en 2016, dépose ses excédents
auprès des banques, au lieu d’offrir des prestations égales à celles de la
CNOPS.
Cela dit, l’égal accès, étant affirmé par la Constitution, les
deux systèmes doivent être unifiés à tous les niveaux.
Pourquoi les mutuelles et des
assurances continuent-elles à servir la couverture médicale de base et n’ont
pas encore basculé vers les complémentaires ?
Les mutuelles, les caisses internes (OCP, ONEE, CMIM, RAM, etc.)
et les assurances privées, considérées par l’article 114 du Code de l’AMO,
comme gérant provisoirement la couverture médicale de base, ne partagent
presque rien entre elles et encore moins avec le Code de l’AMO à part le mot
« obligatoire ».Chaque organisme détermine seul ses règles de
gestion, ses tarifs, ses taux de cotisation, de remboursement ou de prise en
charge qui sont très différents les uns des autres. Les assurances, elles,
recourent à l’exclusion des maladies antérieures à l’adhésion et imposent des
plafonds de remboursement très vite atteints pour les petits salaires. Cette
situation provisoire dure depuis 17 ans et aucun gouvernement ne semble s’en préoccuper.
- Jeté
au fond des tiroirs du gouvernement depuis près de trois ans, le projet de loi
relatif à l’AMO des parents est très controversé et il est enfin proposé à la
discussion au sein de la deuxième chambre. Pourquoi ce texte ne fait-il pas
l’unanimité ?
Le Gouvernement veut rendre obligatoire la couverture des parents
aux seuls fonctionnaires, alors que dans le Code de l’AMO, elle était
facultative et concernait également les travailleurs du secteur privé. Ces
derniers s’en trouvent définitivement écartés. En effet, le projet de Loi
63-16, composé d’un seul article, a pour unique mission de rendre la cotisation
obligatoire pour tous les fonctionnaires et les retraités du secteur public,
qu’ils aient des parents décédés, retraités ou couverts par une assurance au
Maroc ou à l’étranger. Or même s’il y a quatre enfants fonctionnaires de deux
parents déjà couverts, ils paieront tous les six de nouvelles cotisations.
D’autre part, les retraités, dont la moyenne d’âge est de 67,3 ans et l’espérance
de vie de 76,1 ans, doivent cotiser pour des parents pour la plupart décédés
alors que leurs pensions figées ont été érodées par l’inflation, depuis
plusieurs années. Par ailleurs, selon les données fournies par certains organes
de presse début mai, le chiffre de 100.000 parents est avancé. Il a été doublé
par le ministre, le 10 juin 2019, devant la Chambre des Représentants. Rapporté
à 35 millions d’habitants, le taux de couverture global de la population va
s’améliorer d’à peine 0,6%.
Faut-il rappeler que l’enveloppe financière annoncée, 6 milliards
de DH peut financer l’AMO de toute la population âgée de plus de 60 ans,
qu’elle soit citadine ou rurale, soit 3,4 millions d’habitants ou 10% de la
population totale puisqu’elle dépasse le total des cotisations perçues en 2017
par la CNOPS, soit 4,9 milliards de DH.
Malheureusement, aucune étude actuarielle, démographique ou
financière n’a été présentée. Ce qui n’est pas de nature à instaurer plus de
confiance dans les relations avec le Parlement, les syndicats signataires du
dialogue social et l’opinion publique. D’ailleurs, selon certaines sources,
l’objectif réel du Gouvernement serait de combler le déficit financier de la
CMAM, (ex CNOPS). Sauf qu’il ne veut pas le reconnaître officiellement et maintient
sa position contre vents et marées, en traitant les opposants d’enfants
indignes ou maudits. En conséquence, la grogne est en train de monter chez les
fonctionnaires contre les nouvelles cotisations qui vont réduire le pouvoir
d’achat que les dernières augmentations salariales étaient sensées améliorer.
- Qu’en
est-il de l’AMO pour les étudiants ?
L’extension de l’AMO aux étudiants, en 2015-2016, ne bénéficiant
pas de la couverture médicale de leurs parents, n’a permis l’amélioration du
taux de couverture sanitaire globale que de 0,09%, puisque des 288.000
bénéficiaires ciblés à son lancement, ils ne sont que 32.621 à être assurés
trois années plus tard, soit 11% de l’effectif ciblé. Mais ce n’est pas avec
les taux de couverture des étudiants (0,09%) et celui des parents de
fonctionnaires (0,6%) que le Maroc va atteindre la Couverture Sanitaire Universelle
en 2030. Le rythme de ces petites réformes est extrêmement lent.
- Pourquoi
le régime des indépendants et des travailleurs non-salariés bloque ?
Les travailleurs non salariés représentent 55% de la population
active et un tiers de la population bénéficiaire totale. Adoptés par le Conseil
du Gouvernement, le 7 janvier 2016, les deux projets de lois relatifs à la
couverture médicale (loi n° 98-15) et la retraite (loi n° 99-15), n’ont été
adoptés par le Parlement que le 13 juillet 2017 et le 21 décembre 2017. Quatre
Décrets d’application des deux lois ont été publiés en janvier 2019. Mais les
revenus forfaitaires de chaque catégorie ou sous-catégorie de chaque profession
continuent de faire l‘objet d’âpres négociations bloquant l’entrée en vigueur
effective du régime. Aussi le système de retraite proposé ne semble-t-il pas
attractif en raison de coûts et de rentabilité. Force est de rappeler qu’en
2017 et en 2018, la CIMR a signé de nombreuses conventions, destinées à la
couverture retraite des professions libérales comme les médecins dentistes, les
architectes, les vétérinaires, etc. Pour ce qui est de l’AMO des indépendants,
gérée par la CNSS, elle est totalement étanche par rapport aux travailleurs
salariés. Ce qui fait qu’il n’y a aucune solidarité entre les deux catégories.
Cela dit, les textes semblent contenir en eux-mêmes les germes du blocage comme
l’obligation d’adhérer à l’AMO et à la retraite en même temps (de nombreux
indépendants n’ont pas les moyens de cotiser aux deux régimes), ainsi que la
délégation aux ordres et aux associations professionnelles de la mission
d’assujettissement, pourtant assurée par la CNSS pour les salariés du secteur
privé, etc.
L’évidence est que les blocages cités ci-dessus semblent profiter
aux compagnies d’assurances dont la population assurée a été multipliée par
quatre, depuis la mise en place de l’AMO. Cette progression est supérieure à
celle de la CNOPS et de la CNSS. Mais le silence de la Fédération des
Assurances, face au risque de perte de CA, en milliards de DH, en cas de
généralisation effective de l’AMO, est là pour confirmer que l’AMO des
indépendants ne verra pas le jour de sitôt, voire dans une décennie au moins.
En somme, le projet de généralisation de la couverture médicale de
base a été détourné de ses objectifs d’universalité, d’égalité et de
solidarité. Mais une question taraude les observateurs : pourquoi les
médecins n’ont pas de mutuelle alors que les avocats en ont une ?
Qu’en conclure ?
Dans tous les cas, les 60 milliards de DH dépensés,
annuellement,(base 2018) dans la santé ne bénéficient pas de la même manière à
tous les citoyens et ne sont pas utilisées de manière efficiente entre soins
préventifs et soins curatifs, l’AMO et le RAMED, villes/campagnes,
hommes/femmes. Par ailleurs les tarifs de certains actes médicaux et
médicaments sont plus chers au Maroc qu’en Europe. Pour ce qui est de la
fracture sanitaire territoriale, on peut dire qu’elle est très forte. Dans les
déserts médicaux, la population souffre cruellement du manque des ressources
humaines médicales et paramédicales, alors que la loi 131.13 relative à
l’exercice de la médecine, a verrouillé hermétiquement les possibilités de
recourir à des médecins étrangers (articles 27 à 32), pendant que le pays
manque cruellement de praticiens (11000 selon l’Etat et 22 000 selon
l’Association des Cliniques Privées (ANCP) et que des médecins marocains
s’expatrient.
Pour finir, dans le contexte actuel de l’incroyable débat autour
de la médecine libérale au Maroc, des grèves, des sit in, des procès en
diffamation, des échanges houleux entre M. Chorfi et l’ANCP lors des
Assises de la Fiscalité et des répercussions de tout ceci sur l’image des cliniques
privées et par ricochet des médecins ; devant également la qualité
des « arguments » échangés entre les étudiants en médecine des
secteurs public, privé, fondation, autour des concours du résidanat et
d’internat et en attendant qu’une loi déverrouille le numérus clausus comme ça
a été le cas récemment en France, la Loi 131-13 doit être, urgemment, amendée
pour permettre le recrutement de centaines de médecins étrangers, dûment
qualifiés, comme c’est la cas partout dans le Monde, en vue de soigner les
citoyens des 25 provinces sur 75, ne disposant d’aucun médecin libéral. Les
« débats » entendus sur l’axe Casablanca- Rabat semblent provenir
d’une autre planète aux habitants des régions déshéritées.
Bon à savoir
• La part des dépenses totales en
santé, dans le PIB, a enregistré une baisse en passant de 6,2% en 2010 à 5,8%
en 2013. Elle représente un niveau inférieur à celui de la moyenne des 194 pays
membres de l’OMS qui est de 6,5%.
• La part du budget de la santé dans
le Budget Général a baissé, en 2013 (4,8%) contre (5,5%) en 2010, alors que
l’OMS recommande au moins 12%.
• La part de l’Etat dans les dépenses
totales n’a jamais dépassé les 25%. Or, selon l’OMS, la CSU ne peut aboutir
sans une augmentation importante des fonds publics, grâce notamment aux
financements innovants
• Depuis 1997/98, la structure de
financement n’a connu qu’un léger changement. En 2013, elle est financée par le
paiement direct des ménages à 50,7%, les ressources fiscales avec 24,4%, la
couverture médicale à 22,4%, les employeurs à 1,2%, (la coopération
internationale : 0,6%, les autres sources : 0,7%).
• Selon les CNS, le cumul des
contributions des ménages entre celles directes (50,7%) et indirectes liées aux
cotisations à l’AMO (12,6%), fait des ménages avec 63,3%, le premier
contributeur du système national de santé.
• Ce taux n’a pratiquement pas varié
depuis la publication du Code de l’AMO en octobre 2002. Il s’est même aggravé
en passant de 61,9% à 63,3% entre 2010 et 2013 selon les CNS. Mais pour l’OMS,
les dépenses directes des ménages sont 59,2% et non pas 50,7%. Par conséquent,
la contribution totale des ménages est de 71,8% et ce dans une totale asymétrie
entre le médecin et le patient et sans aucune régulation. Les instances
chargées de l’éthique du contrôle, et de la fabrication normes réglementaires
n’existent pas encore au Maroc
• Pour l’OMS et la Banque Mondiale,
le Maroc a la plus forte dépense des ménages parmi les pays de la zone MENA et
la région méditerranéenne.