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lundi 12 septembre 2022

Loi-cadre du Système de Santé. Le modèle marocain ne s’éloigne-t-il pas de l’Etat social ? Taoujni Saâd.12/09/2022

 



L’analyse comparée des deux Lois Cadres de 2011 et de 2022 relatives au système de santé, au-delà de permettre de relever de fortes ressemblances, des dissemblances et des reculs, suscite des interrogations sur de nombreux aspects juridiques, politiques, institutionnels, de ressources humaines, de financement, de régulation, de qualité des soins, des droits des patients et des professionnels, etc.

Au préalable, force est de constater que la nouvelle Loi-Cadre (LC 06-22) a largement recopié celle de 2011 (LC 34-09), sans la citer une seule fois et sans annoncer son abrogation (annulation) ni tacitement ni expressément. Où sont passés les légistes du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG), chargés de vérifier la conformité des projets de textes juridiques avec les dispositions constitutionnelles et leur compatibilité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ? Pourquoi occulter un texte toujours en vigueur, ainsi que son imposant Décret d’application (aux 57 articles dont ceux relatifs à la carte sanitaire et au parcours des soins) ? Pourquoi ne pas avoir simplement modifié l’ancienne Loi-Cadre, dont plusieurs dispositions n’attendaient que des décrets ou arrêtés ? L’OMS a ainsi recensé plusieurs textes réglementaires, n’ayant jamais vu le jour et portant sur : les normes d’hygiène de sécurité, de qualité et d’accréditation, la gouvernance, le système d’information sanitaire, le partenariat public privé,… Autant de domaines essentiels à la gestion quotidienne du secteur, et ne nécessitant pas un nouveau cursus législatif complet.

Concernant la forme, la nouveauté a consisté dans l’ajout d’un préambule (d’une page et demie), plus long que celui de la Constitution (une page), contenant des affirmations parfois contradictoires avec le corps du texte.  Quelle est la valeur juridique du préambule d’une loi-cadre au Maroc ? Certainement pas celle du préambule de la Constitution française de 1946, ayant donné lieu à la célèbre jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La responsabilité de l'Etat et le Droit à la santé

D’autre part, en supprimant le titre du premier chapitre : « Responsabilité de l'Etat dans la réalisation des objectifs et des principes du système de santé », remplacé par « Dispositions générales » et en rayant l’affirmation : « La mise en œuvre de ces principes incombe principalement à l'Etat », les intentions des rédacteurs sont claires. En faisant référence à la Constitution de 2011, ils confirment cette orientation stratégique de l’Etat. L’article 31 n’a reconnu les droits sociaux (santé, protection sociale, éducation, ..) qu’en diluant la responsabilité de l’Etat pour la partager avec les 269 entreprises publiques, les 1625 collectivités territoriales (aux budgets sociaux très limités) et avec la population (dont les deux tiers vivent dans la précarité).

Dans ses nombreuses déclarations et présentations, le Ministre de la Santé et de la Protection Sociale (MSPS) a beaucoup insisté sur la priorité accordée au secteur privé. Dans les territoires enclavés et déshérités où le secteur privé n’investit pas et où le service public souffre d’un manque cruel de ressources humaines sanitaires, il n’y a aucun changement de cap alors que la situation se dégrade, comme c’est le cas avec la baisse dramatique du nombre de médecins anesthésistes réanimateurs. Nous nous approchons du modèle américain sans en avoir les moyens, les fondations et la justice. Le Maroc, pays à revenu intermédiaire tranche inférieure (Banque Mondiale), s’éloigne chaque jour du modèle social dominant dans les pays les mieux classés dans ce domaine, où le secteur public est en première ligne. « La santé publique est le fondement où reposent le bonheur du peuple et la puissance de l’Etat (…) C’est pourquoi j’estime que la santé publique est le premier devoir d’un homme d’Etat » avait déclaré en 1878, Benjamin Disraëli, l’ancien Premier Ministre Britannique pourtant conservateur.

La Formation Médicale et de la Recherche Scientifique

La principale nouveauté consiste dans la volonté du Ministre de la Santé et de la Protection Sociale de s’occuper de ces deux domaines relevant des attributions du Ministre de l’Enseignement Supérieur. Comment seront réparties les attributions, les responsables, les ressources financières et matérielles entre les deux ministères ? Elles sont tellement enchevêtrées actuellement, que la séparation ne se fera pas sans dégâts pour l’un comme pour l’autre département, perturbant davantage le processus vacillant de formation. 

Devant le constat de la rareté des professeurs et d’encadrants, qui formera annuellement les 3300 médecins, pharmaciens et de médecins dentistes, promis il y a 15 ans, pour 2020 ? Cet objectif a été reporté pour 2030 par le Nouveau Modèle du développement.  Quelle sera la qualité de cette formation, sachant que de nombreux CHU créés récemment n’ont pas les 40 spécialités nécessaires pour mériter l’appellation de CHU ? Celui de Tanger, par exemple, dont la construction a démarré en 2015, n’est toujours pas opérationnel.  Ses internes ne cessent de se plaindre de la qualité de leur formation dans les hôpitaux régionaux de la santé publique.  Ceux formés dans les autres CHU, ne cessent d’organiser des manifestations pour réclamer une meilleure formation. Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à construire trois nouveaux CHU et trois nouvelles facultés de médecine. Personne ne sait comment y sera assurée la formation.

Comme conséquence logique de la baisse de la qualité de la formation, de nombreux postes d’internes et de résidents ne sont pas pourvus faute de candidats. Qui soignera les Marocains dans les prochaines années et avec quelle qualité de formation ?  Cette problématique concerne tout autant les universités privées.   

Or, le Maroc veut augmenter de 50% le ratio d’encadrement des professionnels de la santé pour 10.000 habitants.  Il passera de 17,4 en 2022, à 24 professionnels en 2025. Même avec ce dernier ratio, il est difficile de parler de couverture sanitaire universelle, si l’on se réfère aux critères de l’OMS de 2006, exigeant au moins 45.

D’autre part, le fait que le doctorat en médecine donnait lieu à une rémunération équivalente au diplôme d’un Master, a longtemps contribué à la déconsidération de la profession. L’Etat vient, après 17 ans de revendications, de reconnaitre qu’il a la même valeur que les autres doctorats de Lettres ou de Sciences. Aujourd’hui encore les médecins sont payés sur l’ancienne base. La régularisation de l’ensemble des effectifs s’étalera sur les deux prochaines années. Mais les médecins, échaudés par des promesses non tenues ces dernières années, attendent de voir pour croire. Les indemnités de gardes et d’astreintes sont très faibles . (De 72 à 386 DH par séance de 12 ou 16 heures). Les rémunérations et les indemnités du secteur public sont anormalement basses comparées à celles du secteur privé et ridicules par rapport à celle offertes à l’étranger.

Par ailleurs, dans la Loi-Cadre actuelle, il est question de lier la rémunération des «ressources humaines» aux actes professionnels réalisés. Là, les rédacteurs du projet avancent dans un terrain miné et dangereux dont ils n’ont pas suffisamment anticipé les risques, les prérequis et les conséquences. D’abord, il faut disposer d’un système d’information performant permettant de payer le personnel dans des délais raisonnables, et surtout sécurisé, pour que les actes soient correctement saisis dans le strict respect de la nomenclature, et qu’ils soient attribués au producteur réel et bien sûr facturées à l’AMO. Le phénomène de sur cotation risque d’être plus fréquent et posera beaucoup de difficultés à l’AMO. Il faut également faire attention aux disparités entre les différentes spécialités. Les actes des spécialités médicales sont moins rémunérateurs que ceux des spécialités chirurgicales. Ensuite, la fracture territoriale est telle entre les régions qu’il y aura de très fortes disparités entre les revenus de médecins de la même spécialité selon le lieu d’affectation. Enfin, il faut tenir compte du fait que la tarification de l’hôpital public est inférieure à celle appliquée dans le secteur privé, et qu’elle impactera le niveau des rémunérations.  Une attention particulière devra être accordée à la rémunération des anesthésistes-réanimateurs. Lier leur rémunération à l’acte les avantage énormément, ce qui explique que certains établissements privés leur accordent des forfaits mensuels quasi similaires à des salaires. Enfin il faut estimer correctement le budget global de ce mode de paiement flottant. Au lieu de toute cette machine à gaz, il faut trouver un autre moyen, pour motiver le personnel qui a été paupérisé pendant plusieurs années. Après la revalorisation des salaires et des indemnités, une prime liée à la productivité de l’ensemble du personnel serait une des pistes à explorer et préférable au paiement à l’acte des seuls médecins. Ce sujet mérite plus de réflexion.

De plus, la place et le rôle de l’infirmier devraient être mieux redéfinis. Le statut d’infirmiers en pratique avancée (IPA), devrait être créé pour aider dans les déserts médicaux.

Enfin, reste la question qui fâche : former pourquoi faire ? Les postes budgétaires alloués annuellement n’ont rien à voir avec les besoins exprimés par le Ministre et suffisent à peine au remplacement des départs à la retraite. Actuellement, le manque de médecins anesthésistes réanimateurs dans le secteur public,  dont le nombre  a fortement baissé de 250 à 200 en pleine crise du Covid, donne lieu à une grave crise sanitaire et à une controverse juridique inédite  entre le Ministre et les infirmiers anesthésistes obligés de réaliser des opérations chirurgicales urgentes  sans la couverture médicolégale d’un médecin anesthésiste réanimateur. Les infirmiers ne peuvent pas réaliser certains actes plus techniques et moins risqués pour les patients, se plaignent du stress et du manque de sécurité au travail. Il n’y a rien d’étonnant à voir autant de professionnels choisir l’émigration, dont l’Etat porte la plus grande responsabilité.  Les patients devant subir des opérations non-urgentes, vont attendre que le Ministre résolve le problème du manque inquiétant de médecins anesthésistes réanimateurs et aussi de nombreuses spécialités chirurgicales, etc.

 Les instituions de concertation

Aucune des six instituions de concertation prévues en 2011 n’a vu le jour. Elles ont été supprimées, y compris le Comité d’éthique dont le rôle est crucial. Il était attendu que l’autorité et l’indépendance de ce dernier soient affirmées, et qu’il relève directement du Chef du Gouvernement.

La Haute Autorité de la Santé (HAS), nouvellement créée, se voit confier trois missions : le contrôle technique de l’AMO, l’évaluation de la qualité des soins des établissements sanitaires et la délivrance d’avis sur les politiques publiques dans le domaine de la santé. Cette formulation très succincte ne renseigne pas sur les intentions réelles du Gouvernement. A cet effet, la lecture des différentes déclarations du Ministre, donne quelques indications. Il a affirmé que la HAS « aura la latitude de réguler l’AMO, d’évaluer les politiques de santé que ce soit dans le public ou le privé d’accréditer et de normaliser le secteur».

HAS et /ou Agence Nationale d’Assurance Maladie (ANAM) ?

Pourquoi lui confier la régulation de l’AMO, alors qu’elle était du ressort de l’ANAM d’après la Loi 65-00 sur la Couverture médicale de base ?  Il semble qu’on confond la régulation du financement de l’Assurance maladie et ses dizaines d’organismes gestionnaires, avec la HAS, autorité scientifique, multidisciplinaire et  indépendante, chargée de veiller sur la qualité des soins et produits fournis par des dizaines de milliers de professionnels, d’établissements des soins et d’autres prestataires. La qualité des soins est le premier pilier de la Couverture Sanitaire Universelle d’après l’OMS, le financement n’est qu’au cinquième rang. La qualité concerne la prévention, les bonnes pratiques professionnelles, les protocoles de soins, le service médical rendu des médicaments, des vaccins, des dispositifs et des équipements médicaux, etc. Les deux institutions sont indispensables et doivent rester distinctes. La HAS a une fonction de conseil scientifique et l’ANAM a une compétence de régulation visant la pérennité et l’équilibre financier de l’AMO. Mais si la future HAS assume ces deux grandes missions, tout en conservant les mêmes faiblesses que l’ANAM, elle subira les mêmes résistances et aura un sort identique. Et il faudrait dans ce cas l’appeler haute autorité de la santé et de l’assurance maladie. (HASAM).

En outre, si le but est de réformer l’ANAM, qui n’aurait pas réussi sa mission, c’est parce qu’on lui a confié une mission et des attributions réduites par rapport autres régulateurs. Ainsi, l’ANRT, la première et la plus célèbre des institutions de régulation, jouit de plus d’indépendance et de moyens, elle est placée sous la tutelle directe du Chef de Gouvernement, alors que l’ANAM relève du Ministre de la Santé. L’utilité de l’ANAM est indiscutable à condition qu’elle ait un pouvoir de sanction suffisamment dissuasif et qu’elle en fasse un bon usage. Est-ce vraiment la volonté de l’Etat ? L’ANAM était engluée dans la gestion directe du RAMED, jouant à la fois le rôle de régulateur et de gestionnaire. Elle n’a pas à son actif de très grandes réalisations. Il lui a été attribué l’échec de la dernière révision des tarifs, en 2020, malgré l’annonce officielle des barèmes, alors que la tarification relève en dernier ressort du Ministre qui la fixe par des d’arrêtés publiés au Bulletin Officiel. Devant les réclamations relatives à certains tarifs, il avait affirmé devant la Chambre des Conseillers qu’elle devait être Win-Win pour les patients et les cliniques. Il a renvoyé dos à dos les deux protagonistes alors qu’il y a entre eux une asymétrie abyssale. Il n’a pas pris ses responsabilités, en trois ans, pour unifier la tarification ni pour réduire la part des malades (Out of Pocket) actuellement de 50% des frais réellement engagés. Ce taux n’a pas varié depuis deux décennies. D’ici 2035, la Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement n’envisage de le ramener qu’à 30%. D’ici là, les patients à faibles revenus, continueront à s’appauvrir en cas de maladie ou à renoncer aux soins.

 

 

Le juste coût

La Loi Cadre n’évoque aucunement les coûts des soins « Le juste soin au juste coût ». La HAS, nouvelle version, devrait déterminer le juste coût en comparant nos tarifs à ceux des pays à revenus similaires et parfois même à celui de certains pays riches. Les prix des médicaments ont subi récemment des révisions par ce procédé. Parfois, ils coûtaient plus chers au Maroc qu’en France ou en Belgique. C’est également le cas de certains actes médicaux. Cette veille des tarifs et des prix devrait devenir permanente.

L’accréditation

L’évaluation ou la certification de la qualité de l’ensemble des établissements de soins figure parmi les attribuions de la HAS, mais elle est tout de suite renvoyée (sous-traitée), à un « régime » autonome (n’ayant pas de nom).  Est-ce à dire que la HAS ne sera pas suffisamment autonome et qu’elle n’a pas l’indépendance et la technicité pour s’en charger ? Il semble que Pr Ait Taleb ait tiré les leçons des déboires du Pr Louardi, avec sa tentative de réglementer l’accréditation, qui a été bloquée suite à l’opposition virulente de certains représentants du secteur privé, l’obligeant à stopper net le projet alors en phase d’étude. Les patients et les justiciables font les frais, 67 ans après l’indépendance, de ces luttes d’intérêts qui ne prennent pas en considération le besoin de disposer de normes règlementaires officielles (publiées au Bulletin Officiel) relatives à la qualité des soins comme constitutives du respect du droit à la vie et à l’intégrité des patients, et aussi à la quiétude professionnelle des médecins et des soignants. Il est à noter que certains établissements essayent de respecter des normes internes. Le projet actuel ne fait pas référence aux normes internationales, alors que l’OMS ne cesse de recommander des normes efficaces et peu coûteuses.

Groupements de Santé des Territoires (GST) et maillage territorial

Les GST sont chargés de l’exécution de la politique de l’Etat dans le domaine de la santé, mais dans le sens descendant (Top down = de haut en bas). Le réflexe centralisateur domine le texte. Même la carte sanitaire est d’abord établie au niveau national avant la mise en place localement. La carte ne peut être actualisée qu’en cas de changement dans les orientations générales provenant de la carte sanitaire nationale. Le sens ascendant (Bottom up = de bas en haut) n’est pas prévu.

D’autre part, dans la détermination des besoins de la population en prestations sanitaires, les compétences des GST sont limitées au secteur public (Art 19). Est-ce à dire que la carte sanitaire ne sera pas opposable au secteur privé comme ce fut le cas avec la précédente Loi-Cadre ? C’est le premier instrument de lutte contre les déserts médicaux, sinon l’offre restera concentrée dans cinq ou six villes.

La territorialisation de la politique de la santé, avec implication des collectivités territoriales et notamment de la région n’est pas encore à l’ordre du jour. Même la simple décentralisation continue de buter sur le refus obstiné de transférer des attributions en matière de recrutement, d’achats, de maintenance, dans l’affectation de cadres compétents dans les territoires, et ce en contradiction avec le projet phare de la régionalisation avancée.

Avec le schéma proposé par cette Loi Cadre, nous sommes encore à des années lumières de la démocratie sanitaire où les patients et les usagers, représentés par des associations compétentes, auraient pu jouer un rôle dans les GST.  

La digitalisation, le dossier médical partagé et le parcours des soins sont regroupés

La mise en place d’un système d’information sanitaire (SIS) destiné « à l'évaluation de la dimension et de la qualité des soins » était prévu en 2011, et visait aussi  le recueil des données relatives aux établissements des soins publics et privés. La grande question est comment ce Ministère avec les moyens limités actuels, peut-il piloter, l’acquisition, l’adaptation, le paramétrage, la qualité, la traçabilité, la fusion des différentes applications existantes et la sécurité d’un système intégré de l’ensemble des établissements de soins publics et privés ? A ce jour, dans les hôpitaux, des reçus remis aux patients sont encore établis manuellement par les caissiers des établissements de soins publics et dupliqués par du papier carbone.

Il faut signaler que la gestion de ce genre de projet va nécessiter plusieurs années et de très nombreuses compétences : ingénieurs, data analystes, techniciens, correspondants dans les principaux établissements, (ESSP, CHU, hôpitaux préfectoraux, régionaux).  A titre d’exemple, la mise en place du SIS du CHU Averroès va durer plus de 40 mois avant son déploiement. Et comme chaque CHU a déjà développé le sien, l’intégration et l’homogénéisation de tous les systèmes d’information existants pourrait nécessiter encore plus de temps. L’élaboration de manuels de procédures des différentes fonctions (accueil, facturation, comptabilité, dossier patient, comptabilité, gestion des stocks ; l’adaptation des imprimés nécessaires ; la formation des utilisateurs, le déploiement, sont des opérations titanesques. Pour accomplir cette tâche sur une très large échelle, le MSPS devrait recourir à une grande campagne de recrutement de ces compétences convoitées mondialement.  Mr Lahlimi, le Haut-Commissaire au Plan (HCP) avait annoncé en juillet dernier que « La véritable réforme de l’administration ne peut se faire avec les salaires pratiqués actuellement » mettant en doute les réalisations futures de la digitalisation. Il ne faut pas non plus oublier les résistances au changement, du fait que la digitalisation rend plus transparent les processus administratifs et réduit les possibilités de corruption et de détournement.  

De plus, la sécurité du SIS doit être exigée dès la conception du système. La France a subi près de 380 cyberattaques en 2021, ayant gravement perturbé le fonctionnement normal des services et des hôpitaux concernés et surtout les soins. Les hackers ont exigé des rançons et l’Etat s’est engagé à investir des sommes considérables pour assurer la sécurité des systèmes d’information.  

Ensuite, la digitalisation qui a une très grande importance pour l’avenir de la médecine, à travers la healthcare data, sera confrontée à la résistance de nombreux professionnels à communiquer les données de leur activité qui grâce à la traçabilité, facilitera le repérage des erreurs de diagnostic et de traitement ainsi que le renforcement du contrôle médical des organismes d’AMO. Le secteur libéral aura peur de représailles fiscales pour les auteurs de fausses déclarations. L’équité fiscale attendra. Le principe du secret médical servira de paravent au début de cette longue bataille pour un peu plus de transparence. Mais avant tout qui supportera les coûts faramineux d’équipement et de connexion de tous ces professionnels ?

De plus, l’imposition du Parcours coordonné des soins (PCS), (Art 29) sur tout le territoire tandis que les hôpitaux de proximité n’existent pas partout, fera courir de longues distances (allant de 20 à 500 KM) aux patients et à leurs familles pour aller à l’hôpital préfectoral, puis régional avant d’atteindre si nécessaire, le CHU. C’est le cas actuellement des trois régions sahariennes, de l’Oriental, de Draa-Tafilalet où le parcours des soins relève du parcours du combattant. Le PCS doit être optimisé et bien expliqué aux citoyens et au personnel avant d’être imposé. Sinon, il donnera lieu à de véritables tragédies et à des renvois par les agents de sécurité de patients au motif que leur domicile n’est pas du ressort territorial de l’hôpital.

Le parcours des soins, imposant, dans le secteur privé, le passage obligatoire par le médecin généraliste avant d’avoir l’accès aux médecins spécialistes, va se heurter à de fortes résistances. Les notions clés de médecin réfèrent, de famille ou traitant auraient dû être envisagées.

Conclusion

La nouvelle Loi Cadre ne réforme pas en profondeur et d’une manière significative le système. Elle le complexifie.  Elle est même en recul par rapport à l’ancienne dans le fond comme dans la forme. Elle subira les mêmes risques d’échec que la précédente. Ces risques sont connus et prévisibles. En plus de la digitalisation et du parcours des soins (Voir ci-dessus), il y aura des batailles lors de l’élaboration des normes réglementaires d’hygiène, de sécurité et de qualité et aussi autour de la composition de l’institution chargée de l’accréditation des établissements de soins qui peut-être ne verra pas le jour avant plusieurs années.

Devant la permanence des méthodes, des règles du jeu, de l’attitude des acteurs, des ressources, de la gouvernance, de l’éparpillement institutionnel, comment cette Loi Cadre permettrait la réalisation des objectifs arrêtés pour la plupart il y a onze ans ? Aucune analyse des raisons de l’échec n’a été présentée. Comment détecter alors dans ce texte une nouvelle volonté politique pour changer véritablement les choses ? C’est la gouvernance institutionnelle et le management opérationnel qu’il faut changer pour réussir ce projet et non pas l’adoption d’une Loi-Cadre. Surtout que les retards pris par l’Etat dans la réforme progressive du secteur vont affaiblir sa position. Cette faiblesse sera chèrement payée face aux pressions du secteur libéral, ayant depuis étoffé son offre de soins alors que le nombre d’hôpitaux publics a très peu progressé depuis plusieurs années. (152 en 2021).

Le secteur privé marocain supplée aux carences du secteur public dans les plus grandes villes, la responsabilité appartient à l’Etat qui n’assure pas ses fonctions de régulateur, de producteur des normes et des tarifs, de contrôle et de sanction pour non-respect de la Loi. Rappelant que dans la plupart des pays occidentaux à économie libérale, c’est le secteur public qui est en première ligne. La tarification et la cotation sont respectées par tous ceux qui y sont soumis. L’aggravation des inégalités de par le Monde, durant cette période de crise sanitaire, a démontré la pertinence de ces choix. La santé d’un pays intermédiaire à faible revenu ne peut être régie majoritairement par des règles quasi commerciales destinées au secteur privé, alors que la Loi affirme que la médecine n’est pas un commerce.

Comment va s’y prendre le Ministre pour gérer la formation ? Alors que l’apport de son département à la très technique et lourde réforme de la Protection Sociale reste limité puisque les tutelles administrative et financière des principaux organismes d’AMO (CNSS et CNOPS) sont confiées au Ministère de l’Economie et des Finances, tant les enjeux financiers dominent tous les autres aspects. Le secteur même de la santé connait de très nombreux et graves dysfonctionnements de l’aveu du MSPS, en août, devant la Commission Sociale de la Chambre des Conseillers.  Son analyse critique renvoie l’Etat devant ses responsabilités historiques. Pourtant, les efforts du ministère dans certains domaines, comme la prévention, le tabagisme, l'obésité ou les accidents du travail sont très faibles et inefficients. La santé est depuis longtemps l’un des trois premiers secteurs d’insatisfaction des citoyens et parmi les plus gangrénés par la corruption (Transparency- Maroc).

Il est à craindre que ce projet soit adopté sans aucun amendement, comme ce fut le cas avec la Loi-Cadre sur la Protection Sociale qui a traversé tout le processus législatif dans les deux chambres à la vitesse de l’éclair, sans le moindre amendement. Elle n’a pas eu l’adhésion souhaitée, il a fallu dépenser des sommes importantes dans la publicité. Dans la réussite de toute législation relative aux droits sociaux, la convention 102 de l’OIT recommande un débat ouvert et respectueux avec l’opinion publique, la société civile et les partenaires sociaux. Sinon ces législations sont vouées à l’échec ou elles n’auront que peu de chances d’atteindre les objectifs initiaux.   

Comment bien communiquer avec les professionnels de la santé formés au Maroc en langue française, si l’actuelle Loi Cadre, comme celle relative à la Protection Sociale (09-21) sont publiées uniquement en arabe contrairement à d'autres présentées parfois le même jour ? De manière inédite le Secrétariat Général du Gouvernement, dont c'est la mission, n’a toujours pas édité sur son site la traduction officielle de la LC 09-21 en vigueur depuis un an et demi.

Mais est-ce que ce projet répond aux caractéristiques d’un système national de santé, plus proche, plus efficient, plus humain, plus inclusif, plus préventif et au juste coût ?

Les prochaines années nous le dirons. Comme nous devons attendre, dans quelques jours, d’étudier le contenu du Projet de la Loi de Finances 2023, pour voir si l’Etat dit social va se donner les moyens de ses nombreuses promesses.

 

mercredi 1 janvier 2020

Budget de la santé 2020? Circulez, il n’y a rien à voir. Attendez le rapport de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement



En effet, le Budget de la Santé ne contient rien de nouveau ni de notable par rapport aux budgets des années précédentes. C’est conforme au fait que depuis l’indépendance, le Maroc ne dispose toujours pas  d’une stratégie nationale de la santé, élaborée, adoptée  et respectée par les  différents acteurs et à leur tête l’Etat. En l’absence de cette vision, d’un Conseil Supérieur de la Santé, d’une Loi-cadre régissant les nombreux aspects non encore réglementés, de décrets créant les institutions d’éthique, de régulation, de normalisation et surtout d’un plan de financement pluriannuels, le Budget 2020 n’apporte aucun soin aux grands  « maux » de la santé. Pourtant, ils ont été disséqués dans de nombreuses réunions gouvernementales, suivies d’annonces de solutions imminentes à la situation préoccupante du secteur, souvent dénoncée à la fois par  les citoyens et les instituions constitutionnelles (le Conseil Economique Social et Environnemental et la Cour des Comptes) et par les organisations internationales, les experts, les représentants de la société civile.

1. Le Régime d’Assistance aux Démunis (RAMED), destiné à un tiers de la population (12 millions d’habitants) et dont les insuffisances ont été débattues, ces deux dernières années, au plus haut niveau, n’a vu son budget varier que de 0,1 milliard de DH (1,7 MMDH contre 1,6 en 2019). Par bénéficiaire et par an, l’augmentation est très insignifiante : 9 DH  (142  DH, contre 133 DH). Les pauvres ou les personnes en situation de précarité et/ou leurs familles continueront donc à s’appauvrir en dépensant directement trois fois plus que l’Etat (entre  4,5 à 5 MMDH). A son démarrage, l’Etat s’était engagé à verser 3 MMDH par an. Depuis ça a baissé. Certaines ONG affirment qu'aucune somme n'a été débloquée ces dernières années. A ce rythme, les inégalités d’accès aux soins entre les « ramédistes »  et les  bénéficiaires  de l’AMO, déjà très fortes, vont devenir abyssales. Peut-on continuer à considérer le RAMED comme faisant partie de la Couverture Sanitaire Universelle (CSU)? Nos ministres vantent  effrontément notre modèle devant les instances internationales, notamment à l’ONU le 22/09/2019. Or, sans financement pérenne et adéquat, la carte du RAMED ne vaut rien. 

2Le Budget du Ministère de la Santé (MS) augmente de 14%. Il passe  de 16,3 milliards en 2019 à 18,5 milliards DH. Cette hausse annoncée en grande pompe ne concerne que les dépenses du personnel, suite au dialogue social (400 DH répartis en trois ans pour un médecin spécialiste). Elle est dérisoire pour pouvoir résorber les gros écarts avec les revenus des médecins du secteur privé. Or, l’une des solutions à la fracture territoriale passe par la revalorisation des salaires pour inciter les praticiens à servir dans les régions sous ou non médicalisées.


Le Budget de fonctionnement a un peu baissé. C’est-à-dire que les hôpitaux continueront à avoir les mêmes ruptures chroniques des stocks de médicaments et de fournitures médicales qu’en 2019.


3Le nombre de  postes budgétaires, de 4000 pour toutes les catégories (médecins, paramédicaux, techniciens, administratifs et ouvriers), n'est en fait, que de 2198, déduction faite des 1802 départs à la retraite. Le Ministre des Finances a même utilisé le « Joker » (l’article 77 de la Constitution) pour ne pas affecter 1000 postes supplémentaires, alors que le Maroc connait un manque criard de 97161 professionnels de la santé (32387 médecins et de 64774 paramédicaux selon le Ministre de la Santé) et qu'il figure dans la liste rouge mondiale des pénuries en RH. Le déficit en réanimateurs et psychiatres est très inquiétant. Alors que l’Etat continue à construire et à équiper des hôpitaux, des CHU et des centres de santé primaires. Il n’existe aucune corrélation entre ces constructions et la formation des professionnels de la santé. Dans certains CHU, quelques spécialités (il en faut 40 pour avoir le statut de CHU) ne disposent simplement pas d’enseignants. Quelle sera la qualité de formation des nouveaux médecins ?

4. Les principaux indicateurs n’ont pas varié. D’une manière globale, le budget de la santé représente moins de 5% du Budget de l’Etat  au lieu des 12% préconisés par l’OMS. Rapportées aux dépenses globales, celles de l’Etat ont longtemps stagné autour de 25%. Elles devraient être au moins de 70%. Actuellement, ce sont les ménages qui supportent la part la plus importante: 63,3% (des 60 milliards DH en 2018). C’est le taux le plus élevé dans le pourtour méditerranéen et dans la région MENA.  De nombreuses personnes ou familles s’appauvrissent encore en cas de maladie même pour ceux disposant d'une couverture, sachant que  les remboursements ne dépassent pas 50% des frais réellement engagés. Enfin, notons que la médecine préventive et les soins de santé primaires sont les parents pauvres du système avec très peu de ressources. Le financement étant aveugle, notre système manque de bonne gouvernance et d'efficience. 

5. Le taux de Couverture médicale de base est très faible. L’AMO des indépendants patauge depuis plusieurs décennies. Au rythme actuel, il faudra plusieurs années pour couvrir certaines catégories disposant d’un ordre professionnel (100000 personnes tout au plus) et plusieurs décennies pour celles qui n'en ont pas (5,7 millions de personnes). D’autre part, la population salariée couverte théoriquement par l’AMO ne dépasse guère le tiers. Les 4/5 des assurés de la CNSS ne déposent aucun dossier de remboursement. D'autre part, de nombreux salariés ont les droits fermés sans pouvoir bénéficier du RAMED. Toute l'architecture de la CSU est biaisée et nécessite d’être revue, parce qu’elle a produit un système peu solidaire, inégalitaire, sans encadrement ni véritable régulation. Aucune fraternité n'existe entre les salariés et les non salariés dont les deux régimes sont gérés dans deux branches étanches par la CNSS. La retraite des premiers est par répartition, alors que celle des seconds est par points. La France n'arrive pas encore à imposer la retraite par points, critiquée pour son fondement individualiste. A nous, le chacun pour soi.

Lire article du même auteur sur la Couverture Sanitaire Universelle au Maroc paru dans le Maroc Diplomatique du mois de juin 2019: 
https://maroc-diplomatique.net/saad-taoujni-cette-situation-provisoire-dure-depuis-17-ans/  

6. L’absence d’un droit de la santé imposant des normes réglementaires en matière de qualité des soins et de sécurité des patients opposables aux justiciables, rend aléatoire l’indemnisation des accidents médicaux et laisse les surcoûts à la charge des patients.

Lire article du même auteur sur le Droit médical au Maroc, paru dans L'Economiste du 6/12/2018: 
https://www.leconomiste.com/article/1037575-faute-de-lois-specifiques-malades-et-medecins-sans-filet


7. L’indisponibilité de plusieurs dizaines de médicaments dans le réseau pharmaceutique, crée un sentiment général d’insécurité et devrait inquiéter davantage les responsables. Sous d’autres cieux cela entraîne des procès au pénal pour non assistance à personne en danger.

Conclusion :

Si dans les prochaines années, le Maroc persiste dans cette voie d’une couverture sanitaire universelle fragmentée et fortement inégalitaire entre ses citoyens et d’un système de santé à plusieurs vitesses, avec de fortes disparités régionales (au moment où l'on parle le plus de régionalisation avancée) et avec des ressources humaines et financières très insuffisantes, il est à craindre que les dégâts ne soient irréversibles et ce quel que soit le modèle de développement proposé par la Commission Spéciale. Sinon, les classements mondiaux du Maroc en matière sociale et de développement humain continueront à nous indigner. Pourtant, des solutions existent et elles ne sont pas nécessairement coûteuses. Elles favoriseraient le développement économique et social inclusif et même la croissance selon la Banque Mondiale. 



Encadré

Les défaillances de l’Etat sont plus ou moins « supplées » dans l’axe Casablanca-Rabat et quelques villes industrielles ou touristiques, par un secteur privé mal régulé et contrôlé. En effet, il n'est pas concerné par la carte sanitaire prévue par loi 34-09 et  les gardes de réanimation et de certaines spécialités chirurgicales ne sont ni réglementées ni assurées comme chez les pharmaciens. (les gardes  au mois d’août et durant les longs week-ends fériés sont désorganisées et les patients sont parfois déplacés, non sans risques, vers d’autres villes). 

Les organisations représentatives des cliniques et des médecins ont engagé, ces deux dernières années, un rapport de force inédit avec l’Etat (plusieurs grèves ou menaces de grèves), avec la CNOPS ou même certains médias. L’image du médecin et surtout de certaines cliniques  a subi les effets néfastes de ces comportements conflictuels et d’une communication utilisant des arguments ne touchant plus la cible.

Le libéralisme sauvage en matière d’assurance maladie et de système de santé, dominés par de puissants lobbies, tel qu’il est pratiqué chez nous est une erreur stratégique. Dans tous les pays européens, l’offre de santé est essentiellement publique, l'hôpital y jouant un rôle central. Le secteur privé comme c’est le cas en France, agissant dans le cadre du Service Public de la Santé, est fortement encadré et régulé. Une carte sanitaire permet de mieux réguler son offre et de la répartir sur tout le territoire. La communication de ses représentants est plus scientifique que syndicaliste ou lobbyiste.

Saâd Taoujni, le 01/01/ 2020