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mardi 9 janvier 2024

18 millions marocains, la moitié sans AMO. Saâd TAOUJNI


 

Le taux de couverture médicale est de 50% et non pas 100% selon le Gouvernement et 90% pour le HCP

Saâd TAOUJNI. Le mardi 9 janvier 2024


1)    Pourrions-nous affirmer aujourd’hui que tous les marocains bénéficient de l’AMO ?  

D’abord et sur le plan quantitatif, pour pouvoir l’estimer, il faut analyser la situation propre à chaque catégorie en se basant principalement sur les derniers chiffres annoncés le 12 décembre 2023 par Mr Lekjaâ Ministre Délégué au Budget, à la Chambre des Conseillers lors de la séance des Questions Orales (1). Il s'est exprimé en véritable responsable de la Protection Sociale.

a)  Selon ce dernier, le nombre de travailleurs salariés immatriculés est de 3,9 millions (2,7 M à la CNSS et 1,2 M à la CNOPS). Or, pour le Haut-Commissariat au Plan (HCP) (2), cette catégorie compte 5,6 millions de salariés. Le taux de couverture, sur la base des deux données, serait donc de 70%, mais il faut immédiatement le relativiser en raison des faibles niveaux de déclarations des salariés en termes de jours de travail et des rémunérations minorées dans les secteurs des grands pourvoyeurs d’emplois comme l’agriculture, le commerce, le bâtiment, le textile, l'artisanat, les services, le tourisme, le travail domestique, etc. Parfois, les travailleurs couverts représentent moins de 20% dans certaines branches comme l’agriculture. D’autre part, il est nécessaire de rappeler que 674 milles salariés immatriculés à la CNSS ont des droits fermés, soit 25% des immatriculés. (3)  Par conséquent la population non-assurée avoisinerait les 4,4 millions de bénéficiaires, soit un taux de couverture ne dépassant pas 60% sur 11 millions. Ce qui est conforme à la part grandissante de l’emploi informel dans l’économie marocaine, la plus élevée du pourtour de la Méditerranée selon la Banque Mondiale et l’Organisation Internationale de Travail.

b) S’agissant des indépendants et des travailleurs non-salariés (TNS), Mr Lekjaâ avait annoncé le 26 mai 2022 que le taux de couverture avait atteint 70% de la population cible : 8 sur 11 millions de bénéficiaires. Le 12 décembre 2023, il a déclaré qu’ils n’étaient plus que 7 millions. Or, la Cour Des Comptes a affirmé dans son rapport 2022-2023, publié également en décembre 2023 (4), que seulement 13% ont les droits ouverts à l’AMO. Donc, 9,6 millions de TNS ne sont pas du tout assurés. Le Gouvernement a reconnu finalement la difficulté de couvrir cette catégorie, en abandonnant une créance de 3,4 milliards de DH par le vote d’une Loi les amnistiant. De nombreux TNS n’étaient même pas au courant qu’ils étaient assurés et n’avaient rempli aucun bulletin d’adhésion.

c)  En ce qui concerne AMO Tadamon (5), la population démunie cible de 11 millions de personnes semble sous-estimée. Selon Mr Jouahri, le Gouverneur de la Banque du Maroc et Mr Lekjaâ la population vivant dans la précarité représente les deux tiers de la population totale. Mr Ait Taleb a annoncé qu’il y avait 16,5 millions de ramedistes (6)

L’entrée et la sortie d’AMO Tadamon est encore très fréquente. Près d’un million de personnes n’étaient plus couvertes durant cinq mois, le motif invoqué (fin de la date de validité de la carte) ne tient pas dans l’ère de la digitalisation. En fait, les sorties sont dues à l’instabilité de la note attribuée (RSU) aux assurés qui est très fluctuante selon la variation des données personnelles des assurés, collectés par l’agence des registres chez les différents opérateurs publics ou privés dans les domaines de téléphonie et d’internet, de crédits bancaires, de la conservation foncière, d’immatriculation des voitures et des motocycles, des régies distribution d’eau, d’électricité, etc.  Cette instabilité entraine la rupture des prises en charge et l’arrêt des soins, souvent de maladies chroniques, après un petit délai. Le ciblage pose encore de nombreux problèmes. Des personnes réellement démunies ne bénéficient pas d’AMO Tadamon.

d) La quatrième catégorie concerne des personnes capables de payer les cotisations de l’AMO sans être ni travailleurs salariés ni travailleurs non-salariés, dont le nombre n’a pas été annoncé dans le discours Royal du 9 octobre 2020, ni dans le plan Benchaaboune. Le projet de Loi 60-22 n’a été présenté au Conseil du Gouvernement que le 8/12/2022 soit une semaine après le basculement des ramedistes à AMO-Tadamon. Il s’agit de 4 millions de personnes, dont le nombre a été annoncé furtivement et sans beaucoup de détails lors de la séance des Questions Orales précitée.

Le 3 janvier 2024, la CNSS a publié un communiqué les appelant à s’inscrire à « AMO ACHAMIL », c'est-à-dire Universel en arabe. Le communiqué, contrairement à la Loi 60-22 lui attribue deux qualificatifs contradictoires : FACULTATIF et OBLIGATOIRE. Ce qui déroge au Discours Royal et au plan de généralisation de l’AMO. Il est obligatoire dans la Loi 60-22, facultatif dans le communiqué de la CNSS. Certaines personnes capables peuvent donc adhérer aux assurances privées ou n’adhérer à aucun régime. Comment atteindre alors les 100% de bénéficiaires ? (7)  Six jours après ce communiqué, le nombre d’adhésions ne peut-être que nul tant la procédure est contraignante. Les non-assurés sont donc toujours 4 millions d’assujettis sans parler des bénéficiaires. Dans son intervention, Mr Lekjaâ n’a pas précisé le nombre de bénéficiaires. Seraient-ils encore 11 millions comme les autres catégories ayant autant d’assurés ? Ce qui porterait étonnamment la population du Maroc à plus de 44 millions d’habitants. Tout cela démontre l’absence d’étude stratégique, et par conséquent de vision, avant le lancement de ce chantier titanesque.

C/C. Fin 2023, et à la lumière des données relatives aux quatre catégories, 18 millions de marocains n’ont pas de couverture médicale, soit, un taux de couverture ne dépassant pas les 50% de la population (y compris AMO Tadamon). Nous sommes loin des 100% annoncés par Messieurs Lekjaâ et Ait Taleb ou des 90% du Haut-Commissariat au Plan (8).

Même le taux de 50% devrait être pondéré au regard du montant restant à la charge des patients assurés qui dépasse les 50,2 % à la CNSS en cas de maladie, selon le rapport de l’ANAM cité ci-dessus. Pour les maladies chroniques, dites ailleurs maladies exonérantes, ce taux est encore de 22,7%. (9) Sans oublier que les non-assurés supportent 100% des dépenses.

Il faut rappeler que le Chef du Gouvernement a annoncé le 24 octobre 2022, que 100% des Marocains allaient être couverts avant la fin de 2022. Nous sommes trois ans après le début de la généralisation de l’AMO et 69 ans après l’Indépendance, le taux réel de couverture est bien loin de ces annonces.

Ensuite, qualitativement, les travailleurs salariés ayant une couverture facultative (la Loi marocaine le permet encore) (10) auprès des assurances privées, des mutuelles ou caisses internes de certains établissements publics, ont une bien meilleure couverture que les travailleurs salariés immatriculés à la CNSS. Ces derniers n’ont pas non plus les mêmes avantages que les salariés du secteur public soumis à la même Loi 65-00. Il n’y a donc pas d’égalité entre toutes les catégories de salariés en matière de cotisations, de remboursements, de paniers de soins, d’exclusions, de plafonds, etc.

Il est alors légitime de se poser la question de savoir si la généralisation a atteint les objectifs d’égalité d’accès aux soins, de réduction des inégalités, de solidarité entre les différentes catégories, de lutte contre l’éparpillement des organismes gestionnaires.

Ce que l’on peut affirmer sans doute, c’est qu’il n’y a pas encore de respect du principe d’égalité de couverture de base et d’accès aux soins. Celui de solidarité ne l’est pas non plus au vu de l’étanchéité existant entre les différentes et nombreuses catégories. Où est l’organisme autonome chargé de superviser et d’harmoniser les règles de gestion de l’ensemble des assureurs publics et privés et de lutter contre le « noir », les chèques de garantie, la surfacturation, la surconsommation et la réduction effective de la part énorme à payer par le patient, entrainant parfois son appauvrissement ?

2)      Les ex-ramedistes, affiliés désormais à l’AMO Tadamon de la CNSS, bénéficient-ils réellement de la même couverture que les autres catégories de la population ? 

Cette population se trouve majoritairement dans les régions les plus pauvres du pays où l’offre de soins hospitaliers est souvent quasi inexistante sur des centaines de kilomètres. Pourtant, les ministres affirment qu’il y a une égalité entre tous les bénéficiaires de l’AMO, oubliant que la précarité et la pauvreté figurent parmi les premiers déterminants sociaux de la santé. Ces « assurés » ont principalement recours aux soins dans le secteur public quand des structures existent à proximité et qu’elles sont pourvues de médecins disponibles en permanence. Ils dépensent directement des sommes importantes pour les déplacements, les actes et les produits dont ne disposent pas en permanence la plupart des hôpitaux publics. Ces dépenses avoisinaient en 2020 près de 5 milliards de DH (11).  Pour accéder aux soins externes dans le secteur privé et attendre le remboursement, il faut qu’ils disposent de moyens financiers suffisants. Après le basculement vers AMO Tadamon depuis le 1er décembre 2022, le secteur privé n’aurait reçu dans les cabinets et les cliniques que 5% de bénéficiaires (12). Si l’on considère que certains démunis vont percevoir mensuellement une aide sociale directe de 500 DH pour une famille composée d’enfants non scolarisés et parfois s’occupant d’une personne âgée, est-ce suffisant pour améliorer l’accès aux soins de cette population composée de pauvres et de démunis ? Ce qui se traduit le plus souvent par la renonciation aux soins et le recours aux « guérisseurs » traditionnels.

 

3)       L’offre de santé actuelle suffit-elle à la mise en œuvre de ce chantier ?  Qu’est ce qui manque pour réussir cette réforme ? 

La difficulté la plus évidente et visible concerne l’insuffisance du capital humain. Or, sans professionnels de santé qualifiés et en quantité suffisante, il n’y a pas de Couverture Sanitaire Universelle, selon le Directeur Général de l’Organisation Mondiale de la Santé.  Le système de santé publique risque de s’effondrer si la tendance à l’émigration vers les pays occidentaux et à l’exode vers le secteur privé des grands centres urbains, continue sur le trend actuel. Certaines régions comme le Draâ Tafilalet, le Haouz et l’Oriental où les taux de pauvreté sont élevés, les patients démunis ont très fréquemment affaire aux infirmiers qui ne disposent pas toujours des moyens nécessaires. L’immense travail des paramédicaux n’est pas encore suffisamment reconnu et rémunéré à sa juste valeur notamment pour les risques professionnels auxquels ils sont fortement exposés.

D’autre part le Maroc ne dispose que de 170 hôpitaux publics selon la Cour des Comptes, dont plusieurs construits et équipés récemment. Ils ne sont pas correctement répartis sur tout le territoire. Certains services équipés manquent de ressources humaines pour les faire fonctionner. Les IRM ou les scanners sont souvent en panne. La revue de la presse quotidienne au Maroc notamment en arabe, apporte de nombreuses illustrations sur les manques et les carences. Les cas de « transferts » pour décrire le parcours des soins des patients et de leurs familles sur des centaines de kilomètres, dans des endroits ne disposant pas toujours d’ambulances, y sont souvent décrits avec moults souffrances et coûts supplémentaires. Les délais d’obtention des rendez-vous pour une consultation dans un CHU éloigné, ne cessent de s’allonger pour atteindre souvent les six mois.

Pour réussir cette réforme, il faudrait améliorer tant quantitativement que qualitativement l’offre publique sur l’ensemble du territoire. Il faut également, soumettre l’offre des cliniques privées, actuellement concentrée à 79% dans cinq villes selon le Conseil de la Concurrence, à un cahier de charges imposant la permanence des soins, le respect des normes d’hygiène et de sécurité des patients et du personnel ainsi que la carte sanitaire. Le Gouvernement doit absolument régler le problème de la tarification pour asseoir réellement ce projet sur des bases saines et solides permettant de sanctionner le non-respect de la tarification par le dé conventionnement.

4) Sources et notes

(1)  La plupart des données utilisées dans le présent article (sauf mention contraire) ont été annoncées par M. Lekjaâ lors de la séance des Questions Orales à la Chambre des Conseillers du 12/12/2023. Pour le Ministre délégué au Budget, la population totale est de 33 millions d’habitants, alors que pour le HCP, il y 37 millions.

(2)   Note d’information du Haut-Commissariat au Plan relative aux principales caractéristiques de la population active occupée en 2022.

(3)  https://anam.ma/anam/wp-content/uploads/2023/04/RAPPORT-ANNUELGLOBAL-2021.pdf . P27

« Bénéficiaire ayant les droits fermés : Toute interruption de paiement des cotisations variable selon la catégorie entraîne la suspension des droits pour les assurés et ses ayant droits. » S. Taoujni

Voir Glossaire ANAM pages 83 à 91

(4)  Rapport d’activité de la Cour des Comptes pour les exercices 2022-2023. Paragraphe sur les risques encourus par l’AMO. P 74

https://www.courdescomptes.ma/publication/publication-du-rapport-annuel-de-la-cour-des-comptes-au-titre-de-2022-2023/

(5)  L’appellation AMO Tadamon n’existe pas dans la loi 27-22 relative à cette catégorie. Qui l’a créée alors ?

(6) https://www.maroc.ma/fr/actualites/m-ait-taleb-augmentation-de-58-du-budget-du-ministere-de-la-sante-en-2021

(7) https://www.lavieeco.com/influences/societe/amo-achamil-linscription-au-regime-facultatif-ouverte/

https://twitter.com/CnssMaroc/status/1742539164644417660/photo/2

(8)  HCP. 3ème rapport sur la mise en œuvre de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, publié en novembre 2023. https://www.hcp.ma/Troisieme-rapport-du-Royaume-du-Maroc-sur-la-mise-en-oeuvre-de-l-Agenda-2063-Bilan-de-la-premiere-decennie-2014-2023_a3776.html

(9)  https://anam.ma/anam/wp-content/uploads/2023/04/RAPPORT-ANNUELGLOBAL-2021.pdf  P 61

(10)  Bénéficiaires de l’article 114 : Ce sont les salariés des organismes publics ou privés qui leurs assurent, à la date de publication de la Loi 65-00, une couverture médicale à titre facultatif, soit au moyen de contrats groupe auprès de compagnies d’assurances, soit auprès de mutuelles, soit dans le cadre de caisses internes.

(11)  Voir les Comptes Nationaux de la Santé de 2018

(12) https://medias24.com/2023/10/19/pres-de-10-mois-apres-son-deploiement-ou-en-est-le-regime-amo-tadamon/

lundi 12 septembre 2022

Loi-cadre du Système de Santé. Le modèle marocain ne s’éloigne-t-il pas de l’Etat social ? Taoujni Saâd.12/09/2022

 



L’analyse comparée des deux Lois Cadres de 2011 et de 2022 relatives au système de santé, au-delà de permettre de relever de fortes ressemblances, des dissemblances et des reculs, suscite des interrogations sur de nombreux aspects juridiques, politiques, institutionnels, de ressources humaines, de financement, de régulation, de qualité des soins, des droits des patients et des professionnels, etc.

Au préalable, force est de constater que la nouvelle Loi-Cadre (LC 06-22) a largement recopié celle de 2011 (LC 34-09), sans la citer une seule fois et sans annoncer son abrogation (annulation) ni tacitement ni expressément. Où sont passés les légistes du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG), chargés de vérifier la conformité des projets de textes juridiques avec les dispositions constitutionnelles et leur compatibilité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ? Pourquoi occulter un texte toujours en vigueur, ainsi que son imposant Décret d’application (aux 57 articles dont ceux relatifs à la carte sanitaire et au parcours des soins) ? Pourquoi ne pas avoir simplement modifié l’ancienne Loi-Cadre, dont plusieurs dispositions n’attendaient que des décrets ou arrêtés ? L’OMS a ainsi recensé plusieurs textes réglementaires, n’ayant jamais vu le jour et portant sur : les normes d’hygiène de sécurité, de qualité et d’accréditation, la gouvernance, le système d’information sanitaire, le partenariat public privé,… Autant de domaines essentiels à la gestion quotidienne du secteur, et ne nécessitant pas un nouveau cursus législatif complet.

Concernant la forme, la nouveauté a consisté dans l’ajout d’un préambule (d’une page et demie), plus long que celui de la Constitution (une page), contenant des affirmations parfois contradictoires avec le corps du texte.  Quelle est la valeur juridique du préambule d’une loi-cadre au Maroc ? Certainement pas celle du préambule de la Constitution française de 1946, ayant donné lieu à la célèbre jurisprudence du Conseil constitutionnel.

La responsabilité de l'Etat et le Droit à la santé

D’autre part, en supprimant le titre du premier chapitre : « Responsabilité de l'Etat dans la réalisation des objectifs et des principes du système de santé », remplacé par « Dispositions générales » et en rayant l’affirmation : « La mise en œuvre de ces principes incombe principalement à l'Etat », les intentions des rédacteurs sont claires. En faisant référence à la Constitution de 2011, ils confirment cette orientation stratégique de l’Etat. L’article 31 n’a reconnu les droits sociaux (santé, protection sociale, éducation, ..) qu’en diluant la responsabilité de l’Etat pour la partager avec les 269 entreprises publiques, les 1625 collectivités territoriales (aux budgets sociaux très limités) et avec la population (dont les deux tiers vivent dans la précarité).

Dans ses nombreuses déclarations et présentations, le Ministre de la Santé et de la Protection Sociale (MSPS) a beaucoup insisté sur la priorité accordée au secteur privé. Dans les territoires enclavés et déshérités où le secteur privé n’investit pas et où le service public souffre d’un manque cruel de ressources humaines sanitaires, il n’y a aucun changement de cap alors que la situation se dégrade, comme c’est le cas avec la baisse dramatique du nombre de médecins anesthésistes réanimateurs. Nous nous approchons du modèle américain sans en avoir les moyens, les fondations et la justice. Le Maroc, pays à revenu intermédiaire tranche inférieure (Banque Mondiale), s’éloigne chaque jour du modèle social dominant dans les pays les mieux classés dans ce domaine, où le secteur public est en première ligne. « La santé publique est le fondement où reposent le bonheur du peuple et la puissance de l’Etat (…) C’est pourquoi j’estime que la santé publique est le premier devoir d’un homme d’Etat » avait déclaré en 1878, Benjamin Disraëli, l’ancien Premier Ministre Britannique pourtant conservateur.

La Formation Médicale et de la Recherche Scientifique

La principale nouveauté consiste dans la volonté du Ministre de la Santé et de la Protection Sociale de s’occuper de ces deux domaines relevant des attributions du Ministre de l’Enseignement Supérieur. Comment seront réparties les attributions, les responsables, les ressources financières et matérielles entre les deux ministères ? Elles sont tellement enchevêtrées actuellement, que la séparation ne se fera pas sans dégâts pour l’un comme pour l’autre département, perturbant davantage le processus vacillant de formation. 

Devant le constat de la rareté des professeurs et d’encadrants, qui formera annuellement les 3300 médecins, pharmaciens et de médecins dentistes, promis il y a 15 ans, pour 2020 ? Cet objectif a été reporté pour 2030 par le Nouveau Modèle du développement.  Quelle sera la qualité de cette formation, sachant que de nombreux CHU créés récemment n’ont pas les 40 spécialités nécessaires pour mériter l’appellation de CHU ? Celui de Tanger, par exemple, dont la construction a démarré en 2015, n’est toujours pas opérationnel.  Ses internes ne cessent de se plaindre de la qualité de leur formation dans les hôpitaux régionaux de la santé publique.  Ceux formés dans les autres CHU, ne cessent d’organiser des manifestations pour réclamer une meilleure formation. Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à construire trois nouveaux CHU et trois nouvelles facultés de médecine. Personne ne sait comment y sera assurée la formation.

Comme conséquence logique de la baisse de la qualité de la formation, de nombreux postes d’internes et de résidents ne sont pas pourvus faute de candidats. Qui soignera les Marocains dans les prochaines années et avec quelle qualité de formation ?  Cette problématique concerne tout autant les universités privées.   

Or, le Maroc veut augmenter de 50% le ratio d’encadrement des professionnels de la santé pour 10.000 habitants.  Il passera de 17,4 en 2022, à 24 professionnels en 2025. Même avec ce dernier ratio, il est difficile de parler de couverture sanitaire universelle, si l’on se réfère aux critères de l’OMS de 2006, exigeant au moins 45.

D’autre part, le fait que le doctorat en médecine donnait lieu à une rémunération équivalente au diplôme d’un Master, a longtemps contribué à la déconsidération de la profession. L’Etat vient, après 17 ans de revendications, de reconnaitre qu’il a la même valeur que les autres doctorats de Lettres ou de Sciences. Aujourd’hui encore les médecins sont payés sur l’ancienne base. La régularisation de l’ensemble des effectifs s’étalera sur les deux prochaines années. Mais les médecins, échaudés par des promesses non tenues ces dernières années, attendent de voir pour croire. Les indemnités de gardes et d’astreintes sont très faibles . (De 72 à 386 DH par séance de 12 ou 16 heures). Les rémunérations et les indemnités du secteur public sont anormalement basses comparées à celles du secteur privé et ridicules par rapport à celle offertes à l’étranger.

Par ailleurs, dans la Loi-Cadre actuelle, il est question de lier la rémunération des «ressources humaines» aux actes professionnels réalisés. Là, les rédacteurs du projet avancent dans un terrain miné et dangereux dont ils n’ont pas suffisamment anticipé les risques, les prérequis et les conséquences. D’abord, il faut disposer d’un système d’information performant permettant de payer le personnel dans des délais raisonnables, et surtout sécurisé, pour que les actes soient correctement saisis dans le strict respect de la nomenclature, et qu’ils soient attribués au producteur réel et bien sûr facturées à l’AMO. Le phénomène de sur cotation risque d’être plus fréquent et posera beaucoup de difficultés à l’AMO. Il faut également faire attention aux disparités entre les différentes spécialités. Les actes des spécialités médicales sont moins rémunérateurs que ceux des spécialités chirurgicales. Ensuite, la fracture territoriale est telle entre les régions qu’il y aura de très fortes disparités entre les revenus de médecins de la même spécialité selon le lieu d’affectation. Enfin, il faut tenir compte du fait que la tarification de l’hôpital public est inférieure à celle appliquée dans le secteur privé, et qu’elle impactera le niveau des rémunérations.  Une attention particulière devra être accordée à la rémunération des anesthésistes-réanimateurs. Lier leur rémunération à l’acte les avantage énormément, ce qui explique que certains établissements privés leur accordent des forfaits mensuels quasi similaires à des salaires. Enfin il faut estimer correctement le budget global de ce mode de paiement flottant. Au lieu de toute cette machine à gaz, il faut trouver un autre moyen, pour motiver le personnel qui a été paupérisé pendant plusieurs années. Après la revalorisation des salaires et des indemnités, une prime liée à la productivité de l’ensemble du personnel serait une des pistes à explorer et préférable au paiement à l’acte des seuls médecins. Ce sujet mérite plus de réflexion.

De plus, la place et le rôle de l’infirmier devraient être mieux redéfinis. Le statut d’infirmiers en pratique avancée (IPA), devrait être créé pour aider dans les déserts médicaux.

Enfin, reste la question qui fâche : former pourquoi faire ? Les postes budgétaires alloués annuellement n’ont rien à voir avec les besoins exprimés par le Ministre et suffisent à peine au remplacement des départs à la retraite. Actuellement, le manque de médecins anesthésistes réanimateurs dans le secteur public,  dont le nombre  a fortement baissé de 250 à 200 en pleine crise du Covid, donne lieu à une grave crise sanitaire et à une controverse juridique inédite  entre le Ministre et les infirmiers anesthésistes obligés de réaliser des opérations chirurgicales urgentes  sans la couverture médicolégale d’un médecin anesthésiste réanimateur. Les infirmiers ne peuvent pas réaliser certains actes plus techniques et moins risqués pour les patients, se plaignent du stress et du manque de sécurité au travail. Il n’y a rien d’étonnant à voir autant de professionnels choisir l’émigration, dont l’Etat porte la plus grande responsabilité.  Les patients devant subir des opérations non-urgentes, vont attendre que le Ministre résolve le problème du manque inquiétant de médecins anesthésistes réanimateurs et aussi de nombreuses spécialités chirurgicales, etc.

 Les instituions de concertation

Aucune des six instituions de concertation prévues en 2011 n’a vu le jour. Elles ont été supprimées, y compris le Comité d’éthique dont le rôle est crucial. Il était attendu que l’autorité et l’indépendance de ce dernier soient affirmées, et qu’il relève directement du Chef du Gouvernement.

La Haute Autorité de la Santé (HAS), nouvellement créée, se voit confier trois missions : le contrôle technique de l’AMO, l’évaluation de la qualité des soins des établissements sanitaires et la délivrance d’avis sur les politiques publiques dans le domaine de la santé. Cette formulation très succincte ne renseigne pas sur les intentions réelles du Gouvernement. A cet effet, la lecture des différentes déclarations du Ministre, donne quelques indications. Il a affirmé que la HAS « aura la latitude de réguler l’AMO, d’évaluer les politiques de santé que ce soit dans le public ou le privé d’accréditer et de normaliser le secteur».

HAS et /ou Agence Nationale d’Assurance Maladie (ANAM) ?

Pourquoi lui confier la régulation de l’AMO, alors qu’elle était du ressort de l’ANAM d’après la Loi 65-00 sur la Couverture médicale de base ?  Il semble qu’on confond la régulation du financement de l’Assurance maladie et ses dizaines d’organismes gestionnaires, avec la HAS, autorité scientifique, multidisciplinaire et  indépendante, chargée de veiller sur la qualité des soins et produits fournis par des dizaines de milliers de professionnels, d’établissements des soins et d’autres prestataires. La qualité des soins est le premier pilier de la Couverture Sanitaire Universelle d’après l’OMS, le financement n’est qu’au cinquième rang. La qualité concerne la prévention, les bonnes pratiques professionnelles, les protocoles de soins, le service médical rendu des médicaments, des vaccins, des dispositifs et des équipements médicaux, etc. Les deux institutions sont indispensables et doivent rester distinctes. La HAS a une fonction de conseil scientifique et l’ANAM a une compétence de régulation visant la pérennité et l’équilibre financier de l’AMO. Mais si la future HAS assume ces deux grandes missions, tout en conservant les mêmes faiblesses que l’ANAM, elle subira les mêmes résistances et aura un sort identique. Et il faudrait dans ce cas l’appeler haute autorité de la santé et de l’assurance maladie. (HASAM).

En outre, si le but est de réformer l’ANAM, qui n’aurait pas réussi sa mission, c’est parce qu’on lui a confié une mission et des attributions réduites par rapport autres régulateurs. Ainsi, l’ANRT, la première et la plus célèbre des institutions de régulation, jouit de plus d’indépendance et de moyens, elle est placée sous la tutelle directe du Chef de Gouvernement, alors que l’ANAM relève du Ministre de la Santé. L’utilité de l’ANAM est indiscutable à condition qu’elle ait un pouvoir de sanction suffisamment dissuasif et qu’elle en fasse un bon usage. Est-ce vraiment la volonté de l’Etat ? L’ANAM était engluée dans la gestion directe du RAMED, jouant à la fois le rôle de régulateur et de gestionnaire. Elle n’a pas à son actif de très grandes réalisations. Il lui a été attribué l’échec de la dernière révision des tarifs, en 2020, malgré l’annonce officielle des barèmes, alors que la tarification relève en dernier ressort du Ministre qui la fixe par des d’arrêtés publiés au Bulletin Officiel. Devant les réclamations relatives à certains tarifs, il avait affirmé devant la Chambre des Conseillers qu’elle devait être Win-Win pour les patients et les cliniques. Il a renvoyé dos à dos les deux protagonistes alors qu’il y a entre eux une asymétrie abyssale. Il n’a pas pris ses responsabilités, en trois ans, pour unifier la tarification ni pour réduire la part des malades (Out of Pocket) actuellement de 50% des frais réellement engagés. Ce taux n’a pas varié depuis deux décennies. D’ici 2035, la Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement n’envisage de le ramener qu’à 30%. D’ici là, les patients à faibles revenus, continueront à s’appauvrir en cas de maladie ou à renoncer aux soins.

 

 

Le juste coût

La Loi Cadre n’évoque aucunement les coûts des soins « Le juste soin au juste coût ». La HAS, nouvelle version, devrait déterminer le juste coût en comparant nos tarifs à ceux des pays à revenus similaires et parfois même à celui de certains pays riches. Les prix des médicaments ont subi récemment des révisions par ce procédé. Parfois, ils coûtaient plus chers au Maroc qu’en France ou en Belgique. C’est également le cas de certains actes médicaux. Cette veille des tarifs et des prix devrait devenir permanente.

L’accréditation

L’évaluation ou la certification de la qualité de l’ensemble des établissements de soins figure parmi les attribuions de la HAS, mais elle est tout de suite renvoyée (sous-traitée), à un « régime » autonome (n’ayant pas de nom).  Est-ce à dire que la HAS ne sera pas suffisamment autonome et qu’elle n’a pas l’indépendance et la technicité pour s’en charger ? Il semble que Pr Ait Taleb ait tiré les leçons des déboires du Pr Louardi, avec sa tentative de réglementer l’accréditation, qui a été bloquée suite à l’opposition virulente de certains représentants du secteur privé, l’obligeant à stopper net le projet alors en phase d’étude. Les patients et les justiciables font les frais, 67 ans après l’indépendance, de ces luttes d’intérêts qui ne prennent pas en considération le besoin de disposer de normes règlementaires officielles (publiées au Bulletin Officiel) relatives à la qualité des soins comme constitutives du respect du droit à la vie et à l’intégrité des patients, et aussi à la quiétude professionnelle des médecins et des soignants. Il est à noter que certains établissements essayent de respecter des normes internes. Le projet actuel ne fait pas référence aux normes internationales, alors que l’OMS ne cesse de recommander des normes efficaces et peu coûteuses.

Groupements de Santé des Territoires (GST) et maillage territorial

Les GST sont chargés de l’exécution de la politique de l’Etat dans le domaine de la santé, mais dans le sens descendant (Top down = de haut en bas). Le réflexe centralisateur domine le texte. Même la carte sanitaire est d’abord établie au niveau national avant la mise en place localement. La carte ne peut être actualisée qu’en cas de changement dans les orientations générales provenant de la carte sanitaire nationale. Le sens ascendant (Bottom up = de bas en haut) n’est pas prévu.

D’autre part, dans la détermination des besoins de la population en prestations sanitaires, les compétences des GST sont limitées au secteur public (Art 19). Est-ce à dire que la carte sanitaire ne sera pas opposable au secteur privé comme ce fut le cas avec la précédente Loi-Cadre ? C’est le premier instrument de lutte contre les déserts médicaux, sinon l’offre restera concentrée dans cinq ou six villes.

La territorialisation de la politique de la santé, avec implication des collectivités territoriales et notamment de la région n’est pas encore à l’ordre du jour. Même la simple décentralisation continue de buter sur le refus obstiné de transférer des attributions en matière de recrutement, d’achats, de maintenance, dans l’affectation de cadres compétents dans les territoires, et ce en contradiction avec le projet phare de la régionalisation avancée.

Avec le schéma proposé par cette Loi Cadre, nous sommes encore à des années lumières de la démocratie sanitaire où les patients et les usagers, représentés par des associations compétentes, auraient pu jouer un rôle dans les GST.  

La digitalisation, le dossier médical partagé et le parcours des soins sont regroupés

La mise en place d’un système d’information sanitaire (SIS) destiné « à l'évaluation de la dimension et de la qualité des soins » était prévu en 2011, et visait aussi  le recueil des données relatives aux établissements des soins publics et privés. La grande question est comment ce Ministère avec les moyens limités actuels, peut-il piloter, l’acquisition, l’adaptation, le paramétrage, la qualité, la traçabilité, la fusion des différentes applications existantes et la sécurité d’un système intégré de l’ensemble des établissements de soins publics et privés ? A ce jour, dans les hôpitaux, des reçus remis aux patients sont encore établis manuellement par les caissiers des établissements de soins publics et dupliqués par du papier carbone.

Il faut signaler que la gestion de ce genre de projet va nécessiter plusieurs années et de très nombreuses compétences : ingénieurs, data analystes, techniciens, correspondants dans les principaux établissements, (ESSP, CHU, hôpitaux préfectoraux, régionaux).  A titre d’exemple, la mise en place du SIS du CHU Averroès va durer plus de 40 mois avant son déploiement. Et comme chaque CHU a déjà développé le sien, l’intégration et l’homogénéisation de tous les systèmes d’information existants pourrait nécessiter encore plus de temps. L’élaboration de manuels de procédures des différentes fonctions (accueil, facturation, comptabilité, dossier patient, comptabilité, gestion des stocks ; l’adaptation des imprimés nécessaires ; la formation des utilisateurs, le déploiement, sont des opérations titanesques. Pour accomplir cette tâche sur une très large échelle, le MSPS devrait recourir à une grande campagne de recrutement de ces compétences convoitées mondialement.  Mr Lahlimi, le Haut-Commissaire au Plan (HCP) avait annoncé en juillet dernier que « La véritable réforme de l’administration ne peut se faire avec les salaires pratiqués actuellement » mettant en doute les réalisations futures de la digitalisation. Il ne faut pas non plus oublier les résistances au changement, du fait que la digitalisation rend plus transparent les processus administratifs et réduit les possibilités de corruption et de détournement.  

De plus, la sécurité du SIS doit être exigée dès la conception du système. La France a subi près de 380 cyberattaques en 2021, ayant gravement perturbé le fonctionnement normal des services et des hôpitaux concernés et surtout les soins. Les hackers ont exigé des rançons et l’Etat s’est engagé à investir des sommes considérables pour assurer la sécurité des systèmes d’information.  

Ensuite, la digitalisation qui a une très grande importance pour l’avenir de la médecine, à travers la healthcare data, sera confrontée à la résistance de nombreux professionnels à communiquer les données de leur activité qui grâce à la traçabilité, facilitera le repérage des erreurs de diagnostic et de traitement ainsi que le renforcement du contrôle médical des organismes d’AMO. Le secteur libéral aura peur de représailles fiscales pour les auteurs de fausses déclarations. L’équité fiscale attendra. Le principe du secret médical servira de paravent au début de cette longue bataille pour un peu plus de transparence. Mais avant tout qui supportera les coûts faramineux d’équipement et de connexion de tous ces professionnels ?

De plus, l’imposition du Parcours coordonné des soins (PCS), (Art 29) sur tout le territoire tandis que les hôpitaux de proximité n’existent pas partout, fera courir de longues distances (allant de 20 à 500 KM) aux patients et à leurs familles pour aller à l’hôpital préfectoral, puis régional avant d’atteindre si nécessaire, le CHU. C’est le cas actuellement des trois régions sahariennes, de l’Oriental, de Draa-Tafilalet où le parcours des soins relève du parcours du combattant. Le PCS doit être optimisé et bien expliqué aux citoyens et au personnel avant d’être imposé. Sinon, il donnera lieu à de véritables tragédies et à des renvois par les agents de sécurité de patients au motif que leur domicile n’est pas du ressort territorial de l’hôpital.

Le parcours des soins, imposant, dans le secteur privé, le passage obligatoire par le médecin généraliste avant d’avoir l’accès aux médecins spécialistes, va se heurter à de fortes résistances. Les notions clés de médecin réfèrent, de famille ou traitant auraient dû être envisagées.

Conclusion

La nouvelle Loi Cadre ne réforme pas en profondeur et d’une manière significative le système. Elle le complexifie.  Elle est même en recul par rapport à l’ancienne dans le fond comme dans la forme. Elle subira les mêmes risques d’échec que la précédente. Ces risques sont connus et prévisibles. En plus de la digitalisation et du parcours des soins (Voir ci-dessus), il y aura des batailles lors de l’élaboration des normes réglementaires d’hygiène, de sécurité et de qualité et aussi autour de la composition de l’institution chargée de l’accréditation des établissements de soins qui peut-être ne verra pas le jour avant plusieurs années.

Devant la permanence des méthodes, des règles du jeu, de l’attitude des acteurs, des ressources, de la gouvernance, de l’éparpillement institutionnel, comment cette Loi Cadre permettrait la réalisation des objectifs arrêtés pour la plupart il y a onze ans ? Aucune analyse des raisons de l’échec n’a été présentée. Comment détecter alors dans ce texte une nouvelle volonté politique pour changer véritablement les choses ? C’est la gouvernance institutionnelle et le management opérationnel qu’il faut changer pour réussir ce projet et non pas l’adoption d’une Loi-Cadre. Surtout que les retards pris par l’Etat dans la réforme progressive du secteur vont affaiblir sa position. Cette faiblesse sera chèrement payée face aux pressions du secteur libéral, ayant depuis étoffé son offre de soins alors que le nombre d’hôpitaux publics a très peu progressé depuis plusieurs années. (152 en 2021).

Le secteur privé marocain supplée aux carences du secteur public dans les plus grandes villes, la responsabilité appartient à l’Etat qui n’assure pas ses fonctions de régulateur, de producteur des normes et des tarifs, de contrôle et de sanction pour non-respect de la Loi. Rappelant que dans la plupart des pays occidentaux à économie libérale, c’est le secteur public qui est en première ligne. La tarification et la cotation sont respectées par tous ceux qui y sont soumis. L’aggravation des inégalités de par le Monde, durant cette période de crise sanitaire, a démontré la pertinence de ces choix. La santé d’un pays intermédiaire à faible revenu ne peut être régie majoritairement par des règles quasi commerciales destinées au secteur privé, alors que la Loi affirme que la médecine n’est pas un commerce.

Comment va s’y prendre le Ministre pour gérer la formation ? Alors que l’apport de son département à la très technique et lourde réforme de la Protection Sociale reste limité puisque les tutelles administrative et financière des principaux organismes d’AMO (CNSS et CNOPS) sont confiées au Ministère de l’Economie et des Finances, tant les enjeux financiers dominent tous les autres aspects. Le secteur même de la santé connait de très nombreux et graves dysfonctionnements de l’aveu du MSPS, en août, devant la Commission Sociale de la Chambre des Conseillers.  Son analyse critique renvoie l’Etat devant ses responsabilités historiques. Pourtant, les efforts du ministère dans certains domaines, comme la prévention, le tabagisme, l'obésité ou les accidents du travail sont très faibles et inefficients. La santé est depuis longtemps l’un des trois premiers secteurs d’insatisfaction des citoyens et parmi les plus gangrénés par la corruption (Transparency- Maroc).

Il est à craindre que ce projet soit adopté sans aucun amendement, comme ce fut le cas avec la Loi-Cadre sur la Protection Sociale qui a traversé tout le processus législatif dans les deux chambres à la vitesse de l’éclair, sans le moindre amendement. Elle n’a pas eu l’adhésion souhaitée, il a fallu dépenser des sommes importantes dans la publicité. Dans la réussite de toute législation relative aux droits sociaux, la convention 102 de l’OIT recommande un débat ouvert et respectueux avec l’opinion publique, la société civile et les partenaires sociaux. Sinon ces législations sont vouées à l’échec ou elles n’auront que peu de chances d’atteindre les objectifs initiaux.   

Comment bien communiquer avec les professionnels de la santé formés au Maroc en langue française, si l’actuelle Loi Cadre, comme celle relative à la Protection Sociale (09-21) sont publiées uniquement en arabe contrairement à d'autres présentées parfois le même jour ? De manière inédite le Secrétariat Général du Gouvernement, dont c'est la mission, n’a toujours pas édité sur son site la traduction officielle de la LC 09-21 en vigueur depuis un an et demi.

Mais est-ce que ce projet répond aux caractéristiques d’un système national de santé, plus proche, plus efficient, plus humain, plus inclusif, plus préventif et au juste coût ?

Les prochaines années nous le dirons. Comme nous devons attendre, dans quelques jours, d’étudier le contenu du Projet de la Loi de Finances 2023, pour voir si l’Etat dit social va se donner les moyens de ses nombreuses promesses.

 

lundi 29 mars 2021

La réforme de la protection sociale : le temps des interrogations. Avec Saad Taoujni. Par Souad Mekkaoui . Maroc Diplomatique 27-28 mars 2021


 

Est-ce que le projet de Loi-Cadre relatif à la Protection Sociale répond aux orientations royales contenues dans les discours du Trône et celui prononcé à l’occasion de la dernière rentrée parlementaire ? Qu’en est-il notamment de la concertation avec les partenaires sociaux, de l’application des principes d’universalité et de solidarité et du respect des engagements internationaux du Maroc ?

Taoujni Saad: Après un diagnostic sans appel au sujet du dispositif actuel de protection sociale, marqué par un éparpillement des interventions et un faible taux de couverture (22 millions de marocains sans couverture médicale) et d’efficacité, le Roi a insisté dans ses deux discours sur la nécessité d’une concertation avec les partenaires sociaux et un dialogue social constructif pour l’élaboration d’une vision pragmatique globale, incluant le planning, le cadre légal ainsi que les options de financement.

Huit mois plus tard, force est de constater qu’il n’y a pas eu de concertation ni de débat élargi à la société civile et au grand public. Ce n’est que le 11 février que la version en langue arabe du projet de Loi-Cadre a commencé à circuler dans un cercle restreint. Le texte a été présenté le lundi 22 février à la Commission des Finances de la Chambre des Conseillers. Il s’agit là d’une première dans les annales de cette institution. Pourquoi la Commission Sociale compétente en la matière et où siègent des représentants des syndicats et du patronat en a-t-elle été écartée ? Les « discussions » ont eu lieu deux jours après, ne laissant même pas aux groupes parlementaires la possibilité d’organiser une journée d’études pour comprendre les tenants et les aboutissants d’un domaine fort complexe et pour proposer quelques amendements. La Loi-Cadre a été adoptée le 9 mars par la Chambre des Conseillers et le 15 par la Chambre des Représentants. Un vrai rallye. D’ailleurs, les membres des deux institutions étaient trop occupés par les modifications des lois électorales et plus particulièrement par le quotient électoral. Le dialogue social effectif réclamé par la Convention 102 de l’Organisation Internationale du travail (OIT) n’aura pas lieu, pas plus que l’implication de la société civile qui n’a pas encore réagi et qui sera mise devant le fait accompli. 

 

Mais ce qui interpelle, c’est que la Loi-cadre ait été approuvée sans aucun amendement d’aucun parti ou syndicat. C’est comme s’il s’agissait d’un texte nécessitant l’unanimité absolue de tous les élus.  Pourtant, il contient de nombreuses dispositions questionnables d’un point de vue académique et dont certaines ne répondent pas aux normes recommandées par l’ONU, l’OIT, l’OMS, la Banque Mondiale et même le FMI en matière de généralisation de la Protection Sociale , de réformes du système de santé, de la fiscalité, de la Caisse de Compensation ou  du secteur informel. Les données financières avancées par le Ministre des Finances dans sa présentation devant la Chambre des Conseillers ne sont pas conformes aux modèles connus. Les Allocations familiales représentent 39% du total, bien plus que les retraites ou l’AMO, etc. (Tableau 1). 


Le plan de financement confond les recettes et les dépenses. Ainsi, les chiffres relatifs à la retraite relèvent de la première catégorie et ceux des allocations familiales de la seconde.  Il ne différencie pas clairement les deux, n’est pas détaillé pour l’ensemble des régimes et des branches. Le fait de figer le financement à 51 milliards de DH par an, sans aucune variation, et de maintenir inchangée la population cible durant les cinq prochaines années, est déroutant pour tous ceux qui ont l’habitude d’élaborer un business-plan. Si la population assurée reste la même durant cinq ans, c’est que l’amélioration annoncée du ciblage serait inefficace. (Tableau 2).

 


D’autre part, personne n’a entendu parler d’une quelconque étude stratégique préalable, contenant des données économiques, démographiques, sociales, juridiques, sanitaires récentes. Les scénarios d’amélioration de la gouvernance institutionnelle, fondés sur des benchmarks et un planning détaillé, ne sont pas connus. S’agissant du cadre légal exigé par le Roi, aucun projet de loi n’a encore été présenté au Conseil du Gouvernement ni a fortiori aux Conseils d'Administration des organismes gestionnaires de la protection sociale.

Mais ce qui est plus inquiétant, c’est qu’en choisissant de légiférer par le biais de la loi-Cadre, le Gouvernement se donne les moyens par les articles 18 et 19 de modifier, sans dialogue social et par voie réglementaire toutes les lois régissant les régimes existants y compris celui des travailleurs salariés et non-salariés alors que la réforme est destinée d’abord aux démunis et à l’informel. Le Gouvernement a verrouillé ainsi toute possibilité même d’un débat sur ces lois. L’exemple de la loi Cadre de l'Éducation n’est pas de nature à rassurer les partenaires sociaux.

Le Gouvernement ne devrait pas confondre vitesse et précipitation et réduire le Parlement à une simple chambre d’enregistrement et de figuration, et ce d’autant plus que, selon le planning présenté, l’année 2021 ne connaîtra que le démarrage de l’AMO des indépendants et des travailleurs non-salariés, laquelle, pour rappel, est déjà régie par la Loi 98-15 et n’exige plus que la conclusion d’accords avec les représentants des différentes catégories pour déterminer le revenu forfaitaire. D’ailleurs, le planning suscite d’autres remarques au sujet notamment de l’entrée en vigueur de l’IPE qu’à l’horizon 2025 et l’absence d’estimation de la population cible.

Quelle analyse faites-vous de la Loi-cadre sur la Protection Sociale adoptée récemment par les deux  chambres du Parlement  ?

Taoujni Saad : Sur le plan de la forme, le document de quatre pages a rappelé à cinq reprises des paragraphes entiers des deux discours, énumérant les quatre branches retenues, laissant très peu de place au contenu des 19 articles censés encadrer un domaine aussi vaste. Certains articles ne dépassent guère les deux lignes.

D’autre part, la note de présentation a été signée par le Ministre des Finances et de la Réforme de l’Administration, alors que la Protection Sociale relève des attributions du Ministère de l’Emploi telles qu’elles ont été définies dans le Décret 02-14-280 du 18 juin 2014, établi sur la base de l’article 4 de la Loi Organique 065-13 relative l’organisation et à la conduite des travaux du gouvernement, et ce conformément à l’article 93 de la Constitution. Est-ce que le Ministre des Finances aurait pu proposer des lois dans les domaines relevant des prérogatives des départements des Mines, de l’Agriculture, de l’Industrie, etc. ?

Par ailleurs, les deux institutions prévues dans les articles 15 et 16 n’ont reçu aucune dénomination précise. L’article 15 parle de convergence entre les différents régimes et non pas d’une harmonisation ou refonte. Il est question d’une seule autorité pour l’ensemble des branches de la Protection Sociale, alors qu’il en faudrait une par branche. L’AMO ou la Retraite mériteraient chacune une autorité de régulation spécifique. Les références de toutes les lois, décrets, articles à modifier ou à supprimer n’ont pas été expressément citées. L’exemple du célèbre article 114 de la Loi 65-00 relatif aux situations transitoires n’a pas été évoqué

Sur le fond, ce texte, en excluant de son champ d’action les régimes préexistants relatifs aux salariés et aux fonctionnaires a, du même coup, limité la portée de cette réforme. Ce qui est réclamé depuis plusieurs décennies par plusieurs générations d’experts et de militants. Pour l’OIT, les stratégies d’extension de la sécurité sociale devraient s’appliquer en même temps aux personnes relevant aussi bien de l’économie formelle que de l’économie informelle. Or au Maroc, l’emploi informel représente 80% de l’emploi total selon l’OIT, le plus élevé de la Région MENA. Ce secteur dépasse les 30% du PIB du pays. « L’informel s’en sort en toute impunité, ce qui est inacceptable » avait affirmé l’ex Présidente du patronat Marocain (CGEM).

D’autre part, les prestations de maternité, d’invalidité, d’accidents du travail ou de chômage ne font pas partie du chantier actuel, alors qu’elles sont prévues dans la convention 102 de l’Organisation Internationale du Travail, dite norme minimum (1952).  De ce fait, cette réforme ne peut pas être qualifiée de stratégique puisqu’elle n’est pas globale et que sa portée, cinq années, est relativement courte pour un tel projet. En effet, il sera très difficile de réaliser tous les objectifs dans un laps de temps aussi court.

Elle ne règle pas non plus le problème de l’éparpillement des organismes de protection sociale. Le fait de maintenir ce désordre institutionnel, législatif, tarifaire (AMO), normatif rend illusoire toute réforme de la gouvernance et ne permet pas d’améliorer l’efficacité et l’efficience recherchées. Les coûts cumulés de structures et des frais de gestion de ces institutions sont colossaux

L’assurance maladie des travailleurs salariés continuera à être gérée par une quarantaine d’organismes n’ayant rien de commun en matière de droit applicable (AMO, mutualité ou assurances), de tutelle (Santé, Emploi, Finances, etc.), de régulateur (ANAM, ACAPS), de panier des soins, de tarification, de taux de cotisation, de taux de remboursement, de plafonds, des exclusions, de contrôle médical, etc. Est-ce que l’autorité annoncée dans l’article 15 pourra instaurer le respect d’un minimum de principes et de règles de gestion entre les différents intervenants très jaloux de leurs prérogatives, sans avoir à retoucher à l’architecture globale et à la gouvernance ?

Selon les déclarations aux médias de certains responsables publics marocains, il est question de transformer le régime d’assistance aux démunis en un « régime assurantiel avec une logique subventionnelle ». Ils ont ainsi innové en matière de concepts, tels qu’ils sont universellement définis par la doctrine et par la convention n° 102 de l’OIT qui ne reconnaît que trois régimes : universel, d’assurance sociale ou d’assistance sociale. «L’assistance assurantielle» sera une véritable énigme pour les théoriciens et les spécialistes.

Comme d’habitude, force est de constater que cette Loi préserve d’abord les intérêts des compagnies d’assurances qui disposent de la plus forte progression de population assurée,  ayant de meilleurs revenus que les assurés de la CNSS.  Ceci est également confirmé par l’exclusion de la branche des accidents du travail de cette réforme. En effet, le Maroc fait partie d’une poignée de pays dans le Monde à permettre au secteur des assurances de servir des pensions d’invalidité. La Loi accorde au secteur un tarif des soins médicaux inférieur de 40% à celui de la maladie. Il est fixé par arrêté du Ministre de l’Emploi. Les écarts notables entre le nombre de travailleurs salariés déclarés à la CNSS et aux compagnies d’assurances, a été dénoncé en vain par le Conseil Economique et Social.

En fait, nous sommes dans la continuité du modèle marocain de la santé, qualifié de « libéral sauvage, désorganisé, mal régulé, non normé et financé aux 2/3 par les ménages ».

Aucune précision sur le nouvel organisme gestionnaire du RAMED n’a été officiellement annoncée. Le RAMED sera-t-il supprimé ou sera-t-il considéré comme une troisième branche étanche par rapport aux deux autres branches de l’AMO gérées par la CNSS (travailleurs salariés et non-salariés). Le nouveau Directeur Général a annoncé que la CNSS allait gérer 22 millions de nouveaux bénéficiaires. Avec les 7 millions du régime général, le total serait de 29 à 30 millions (selon les sources), soit 83% de la population totale. Sachant que la CNSS est une caisse généraliste servant plusieurs prestations dont certaines sont dérisoires comme c’est le cas des pensions de retraites (pension moyenne de 1600 DH) et l’Indemnité pour perte d’Emploi dont le maximum ne dépasse pas le SMIG : 2828 DH pendant 6 mois. Des pensions de survivants inférieures à 500 DH continuent à être servies à des veuves et à des veufs âgés et les allocations familiales se réduisent à 36 DH par mois à partir du 4ème enfant.   

Par ailleurs, l’idée rapportée par la presse de la négociation avec les prestataires de soins, d’un tarif spécifique aux démunis serait, comme l’expérience l’a démontrée dans de nombreux pays et même au Maroc avec le tarif des accidents du travail, stigmatisant et peut être un critère de sélection des patients. Les principes d’égalité des droits et de dignité s’en trouveront forcément affectés. 

Enfin, dans un très petit alinéa (Art 5), les pouvoirs publics se sont engagés à réformer le système de santé. Aucune mention n’a été faite quant au grave déficit en professionnels de la santé (100 000 personnes), rappelé fréquemment par l’OMS depuis plusieurs années. Pour mémoire, en 2020, l’actuel Ministre des Finances avait utilisé son veto pour ne pas accorder plus de 4000 postes budgétaires (y compris pour le remplacement des départs à la retraite). En 2021, après la pandémie Covid-19, il en a consenti 5500.  Les nombreux dysfonctionnements publiés régulièrement dans les rapports de la Cour des Comptes, du CESE et des institutions de l’ONU, comme l’OMS, l’UNICEF, l’OIT,... devront attendre une autre réforme. Ainsi, la fracture territoriale en matière d’offre médicale est telle que nombre de futurs bénéficiaires paieront des cotisations sans pouvoir se faire soigner sur place. De même, qu’en sera-t-il des pratiques délétères de certaines cliniques privées en matière de tarification, de noir, de chèques de garantie, de refus du tiers payant, des restes-à-charges des assurés ?

 

Sommes-nous prêts à la Couverture Sanitaire Universelle à l’horizon 2022 ? Est-ce que le Maroc a, dans la crise inédite actuelle, les moyens de financer cette généralisation massive ?

Taoujni Saad : Il est vrai que beaucoup s’interrogent sur les motivations et les moyens de l’Etat pour financer une réforme aussi coûteuse dans un domaine fort complexe, dans le contexte actuel et dans un délai aussi court. L’année 2020 a été déclarée année noire par l’OIT.

Je crois que l’Etat a enfin compris, avec la crise sanitaire Covid-19, que l’absence de Protection Sociale coûtait cher et que sa généralisation n’était pas toujours synonyme de déficits. La CNSS qui a accumulé fin 2020, un excédent de 30 milliards de DH dans l’AMO des bas salaires des travailleurs salariés du secteur privé, est là pour démontrer que non seulement l’Etat n’a pas déboursé un seul Dirham dans cette prestation, mais que le système bancaire et l’économie marocaine disposent ainsi d’une manne financière considérable. D’autre part, il faut rappeler que la CNSS possède au titre des prestations à moyen et à long terme, de fonds de réserve déposés à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) atteignant les 53 Mds de DH en 2018.  

L’Etat a ensuite constaté que les donations des sociétés privées au Fonds spécial du Covid-19, n’ont pas dépassé les 4 milliards de dirhams et ne représentaient que 12% du total qui reste dominé par les donations des institutions publiques : 29 milliards de dirhams.

         Tableau 3


Avec la généralisation de la protection sociale, l’Etat entend rééquilibrer les contributions des secteurs public et privé. Le Ministre des Finances dans sa présentation devant la Chambre des Conseillers, a annoncé que le coût de financement des quatre branches est de 51 MMDH (4,7 milliards d’Euros) par an, réparti à raison de 23 MMDH par les taxes et 28 MMDH par les cotisations des assurés du secteur privé. Le Gouvernement entend percevoir de telles cotisations durant les cinq prochaines années. Comment ? La Loi Cadre propose de simplifier les procédures de recouvrement, en passant sous silence le refus de certaines catégories de verser les cotisations imposées.  Il faut rappeler que la CNSS, le Ministère de la Santé et celui de l’Emploi ont eu toutes les peines du monde à faire adhérer moins de 5000 indépendants en 66 ans d’indépendance et que personne n’a reçu à ce jour la moindre prestation.  Pourtant, les premières adhésions ont concerné des catégories disposant de revenus intermédiaires et d’organes représentatifs peu nombreux et incontestés. Qu’en sera-t-il lorsqu’il s’agira de négocier le niveau de leur contribution avec les petits commerçants, les artisans, les agriculteurs, les transporteurs, etc. ? Ça sera sûrement plus ardu et donnera lieu à des bras de fer, voire à des grèves, comme celles qui ont marqué l’opinion publique lors de l’affaire de l’Identifiant Commun des Entreprises (ICE) où l’Etat a dû reculer devant la pression des commerçants hostiles.

D’autre part, la répartition des 51 milliards de DH à raison de 20 milliards de pour les allocations familiales, 16 pour la retraite, 14 pour l'AMO et 1 pour l'indemnité pour perte d'emploi, interpelle les observateurs avertis. Pourquoi le financement des AF pour 7 millions de bénéficiaires, est supérieur à celui de l’AMO de 22 millions d’individus. Pourquoi le financement de la retraite est-il aussi bas ?  Il faut signaler que les 16 MMDH prévus pour le financement du système des retraites sont constitués exclusivement des cotisations des travailleurs non-salariés et des indépendants et ne coûtent rien à l’Etat. Pourquoi le Gouvernement reprend-il une prestation encadrée par la Loi 99-15, qui traîne depuis son entrée en vigueur, du fait de l’opposition de plusieurs catégories professionnelles ?  

Les ressources financières accordées à l’AMO telles qu’elles sont prévues dans la Loi de Finances 2021, ne semblent pas suffisantes pour une population aussi nombreuse composée principalement de démunis et des travailleurs de l’informel ayant une sinistralité très élevée. 9 MMDH pour une population de 11 millions d’assistés, soit 818 DH par an et par bénéficiaire. Par contre, les 11 millions de travailleurs non-salariés, tenus eux de verser des cotisations, se verront affecter une enveloppe de 5 milliards de DH soit 454 DH par an et par assuré. Quelle logique a-t-elle présidé à une telle répartition ?  Tableau 4



D’autre part, le fait d’avoir conditionné le droit à l’AMO par le paiement anticipatif des cotisations, entrainerait systématiquement la fermeture des droits pour de nombreuses familles comme c’est le cas actuellement avec 17% des travailleurs salariés de la CNSS

La contribution sociale de solidarité, adoptée dans le cadre de la Loi de Finances 2021, n’a été accordée par le Parlement que pour une année. Elle semble provisoire et conjoncturelle. Il n’est pas sûr non plus que la Contribution Professionnelle Unique qui ne concerne que 800 000 personnes, ne fasse pas l’objet, en pleine année électorale, d’un rejet ou d’un refus de paiement.

En conclusion

Les ambitions de cette réforme sont titanesques. Tout le monde doit participer à sa réussite et surtout à son extension aux catégories défavorisées. Tous les relais de la société civile doivent être impliqués en toute transparence dans sa mise en œuvre. Pour cela, il faut un vrai débat et une vraie communication. Pour que cette réforme soit de portée stratégique, elle devrait être élaborée avec la même méthodologie, ingénierie financière, gestion de projets respectant les délais et les budgets, que celles utilisées dans les grands projets structurants d'infrastructure, des politiques sectorielles d’industrialisation, de développement durable, etc.  Afin d’atteindre le principe d’universalité, elle devrait être étendue aux travailleurs salariés et tenir compte des impacts de la quatrième révolution industrielle sur l’emploi et la Protection sociale. Un peu de prospective. Son extension aux prestations d’accidents du travail et de maternité devrait être programmée également.

Il s’agit d’une Loi-cadre très courte pour un sujet aussi vaste et complexe, au centre des droits sociaux et du Contrat Social. Elle est plus focalisée sur les aspects financiers, que sur l’offre de soins par exemple qui a besoin d’une véritable remise en cause. Le Ministère de la Santé doit jouer pleinement son rôle dans l’élaboration des politiques de formation initiale et continue, du médicament, de régionalisation, de tarification, des normes d’hygiène et de sécurité, des droits des patients, etc. Le secteur public doit disposer de moyens humains et financiers pour soigner la majorité de la population habitant les zones rurales, désertiques, enclavées ou les quartiers périurbains. Les risques de non réalisation existent comme ils ont existé avec l’AMO. L’absence des représentants incontestés des différentes catégories des travailleurs non-salariés, pour négocier avec l’Etat, peut faire échouer la couverture de cette tranche qui représente le tiers de la population. Cette menace existe et elle est connue des organismes gestionnaires et des pouvoirs publics.

 

Qui bloque les décisions relatives à l’AMO adoptées par le Conseil d'Administration de la CNSS, alors qu’elle dispose d’un excédent de 30 milliards de DH et que de nombreux travailleurs salariés cotisants n’en profitent pas ?                     

•       Augmenter le taux de remboursement de l'AMO de 70% à 80% 

•       La Tarification des actes médicaux : base de remboursement

•       Les dispositifs médicaux (remboursement à 100%)

•       Les médicaments génériques (remboursement à 90%)

•       Les soins dentaires (plafond de 3.000 DH par an au lieu de tous les 2 ans)

•     L’optique : revalorisation des tarifs de références monture (400 DH) et verre (400 DH normal, 800 DH progressif)

Qui parle de la privatisation des polycliniques, alors que l’offre publique de santé est si faible ?

Qui est contre la hausse de 5% des misérables pensions de retraite de la CNSS?

Pourquoi la réforme des accidents du travail est à l’arrêt ?

Idem pour celle de l’Indemnité pour Perte d’Emploi ?

 

Pourquoi l’indemnisation des victimes des accidents de circulation est encore calculée sur un SMIG à 9000 DH ?

Qui a réduit les moyens humains et financiers accordés aux secteurs sociaux, lors des arbitrages budgétaires ?

•   Qui a alloué une augmentation d'un petit milliard de DH au budget du Ministère de la Santé en 2021 (par rapport à 2020), alors que nous sommes encore en pleine pandémie ? 

•   Qui a accordé 5500 postes budgétaires contre 4000 en 2020, alors que le Ministre de la Santé a besoin de 100000 professionnels de la santé ?   

•   Qui a accordé un budget d’1,7 milliard de DH à 12 millions de personnes démunies en 2020 ? 

•   Pourquoi l’Etat n’a pas versé de dotation du RAMED durant plusieurs années aux hôpitaux ?