L’analyse
comparée des deux Lois Cadres de 2011 et de 2022 relatives au système de santé,
au-delà de permettre de relever de fortes ressemblances, des dissemblances et
des reculs, suscite des interrogations sur de nombreux aspects juridiques, politiques,
institutionnels, de ressources humaines, de financement, de régulation, de
qualité des soins, des droits des patients et des professionnels, etc.
Au préalable, force est de constater que la nouvelle Loi-Cadre (LC 06-22) a largement recopié celle de 2011 (LC 34-09), sans la citer une seule fois et sans annoncer son abrogation (annulation) ni tacitement ni expressément. Où sont passés les légistes du Secrétariat Général du Gouvernement (SGG), chargés de vérifier la conformité des projets de textes juridiques avec les dispositions constitutionnelles et leur compatibilité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ? Pourquoi occulter un texte toujours en vigueur, ainsi que son imposant Décret d’application (aux 57 articles dont ceux relatifs à la carte sanitaire et au parcours des soins) ? Pourquoi ne pas avoir simplement modifié l’ancienne Loi-Cadre, dont plusieurs dispositions n’attendaient que des décrets ou arrêtés ? L’OMS a ainsi recensé plusieurs textes réglementaires, n’ayant jamais vu le jour et portant sur : les normes d’hygiène de sécurité, de qualité et d’accréditation, la gouvernance, le système d’information sanitaire, le partenariat public privé,… Autant de domaines essentiels à la gestion quotidienne du secteur, et ne nécessitant pas un nouveau cursus législatif complet.
Concernant
la forme, la nouveauté a consisté dans l’ajout d’un préambule (d’une
page et demie), plus long que celui de la Constitution (une page), contenant
des affirmations parfois contradictoires avec le corps du
texte. Quelle est la valeur juridique du préambule d’une
loi-cadre au Maroc ? Certainement pas celle du préambule de la Constitution
française de 1946, ayant donné lieu à la célèbre jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
La
responsabilité de l'Etat et le Droit à la santé
D’autre
part, en supprimant le titre du premier chapitre : « Responsabilité
de l'Etat dans la réalisation des objectifs et des principes du système de
santé », remplacé par « Dispositions générales » et en rayant
l’affirmation : « La mise en œuvre de ces principes incombe principalement
à l'Etat », les intentions des rédacteurs sont claires. En faisant
référence à la Constitution de 2011, ils confirment cette orientation
stratégique de l’Etat. L’article 31 n’a reconnu les droits sociaux (santé,
protection sociale, éducation, ..) qu’en diluant la responsabilité de
l’Etat pour la partager avec les 269 entreprises publiques, les 1625
collectivités territoriales (aux budgets sociaux très limités) et avec la
population (dont les deux tiers vivent dans la précarité).
Dans
ses nombreuses déclarations et présentations, le Ministre de la Santé et
de la Protection Sociale (MSPS) a beaucoup insisté sur la priorité accordée au
secteur privé. Dans les territoires enclavés et déshérités où le secteur privé
n’investit pas et où le service public souffre d’un manque cruel de ressources
humaines sanitaires, il n’y a aucun changement de cap alors que la situation se
dégrade, comme c’est le cas avec la baisse dramatique du nombre de médecins
anesthésistes réanimateurs. Nous nous approchons du modèle américain sans en
avoir les moyens, les fondations et la justice. Le Maroc, pays à revenu
intermédiaire tranche inférieure (Banque Mondiale), s’éloigne chaque jour du
modèle social dominant dans les pays les mieux classés dans ce domaine, où le
secteur public est en première ligne. « La santé publique est le fondement
où reposent le bonheur du peuple et la puissance de l’Etat (…) C’est pourquoi
j’estime que la santé publique est le premier devoir d’un homme d’Etat »
avait déclaré en 1878, Benjamin Disraëli, l’ancien Premier Ministre Britannique
pourtant conservateur.
La
Formation Médicale et de la Recherche Scientifique
La
principale nouveauté consiste dans la volonté du Ministre de la Santé et de la
Protection Sociale de s’occuper de ces deux domaines relevant des attributions
du Ministre de l’Enseignement Supérieur. Comment seront réparties les
attributions, les responsables, les ressources financières et matérielles entre
les deux ministères ? Elles sont tellement enchevêtrées actuellement, que
la séparation ne se fera pas sans dégâts pour l’un comme pour l’autre
département, perturbant davantage le processus vacillant de formation.
Devant
le constat de la rareté des professeurs et d’encadrants, qui formera annuellement
les 3300 médecins, pharmaciens et de médecins dentistes, promis il y a 15 ans,
pour 2020 ? Cet objectif a été reporté pour 2030 par le Nouveau Modèle du
développement. Quelle sera la qualité de cette formation, sachant
que de nombreux CHU créés récemment n’ont pas les 40 spécialités nécessaires
pour mériter l’appellation de CHU ? Celui de Tanger, par exemple, dont la
construction a démarré en 2015, n’est toujours pas opérationnel. Ses
internes ne cessent de se plaindre de la qualité de leur formation dans les
hôpitaux régionaux de la santé publique. Ceux formés dans les autres
CHU, ne cessent d’organiser des manifestations pour réclamer une meilleure formation.
Pourtant, le Gouvernement s’est engagé à construire trois nouveaux CHU et trois
nouvelles facultés de médecine. Personne ne sait comment y sera assurée la
formation.
Comme
conséquence logique de la baisse de la qualité de la formation, de nombreux
postes d’internes et de résidents ne sont pas pourvus faute de candidats. Qui
soignera les Marocains dans les prochaines années et avec quelle qualité de
formation ? Cette problématique concerne tout autant les
universités privées.
Or,
le Maroc veut augmenter de 50% le ratio d’encadrement des professionnels de la
santé pour 10.000 habitants. Il passera de 17,4 en 2022, à 24
professionnels en 2025. Même avec ce dernier ratio, il est difficile de parler
de couverture sanitaire universelle, si l’on se réfère aux critères de l’OMS de
2006, exigeant au moins 45.
D’autre part, le fait que le doctorat en médecine donnait lieu à une rémunération équivalente au diplôme d’un Master, a longtemps contribué à la déconsidération de la profession. L’Etat vient, après 17 ans de revendications, de reconnaitre qu’il a la même valeur que les autres doctorats de Lettres ou de Sciences. Aujourd’hui encore les médecins sont payés sur l’ancienne base. La régularisation de l’ensemble des effectifs s’étalera sur les deux prochaines années. Mais les médecins, échaudés par des promesses non tenues ces dernières années, attendent de voir pour croire. Les indemnités de gardes et d’astreintes sont très faibles . (De 72 à 386 DH par séance de 12 ou 16 heures). Les rémunérations et les indemnités du secteur public sont anormalement basses comparées à celles du secteur privé et ridicules par rapport à celle offertes à l’étranger.
Par
ailleurs, dans la Loi-Cadre actuelle, il est question de lier la rémunération
des «ressources humaines» aux actes professionnels réalisés. Là, les rédacteurs
du projet avancent dans un terrain miné et dangereux dont ils n’ont pas
suffisamment anticipé les risques, les prérequis et les conséquences. D’abord,
il faut disposer d’un système d’information performant permettant de payer le
personnel dans des délais raisonnables, et surtout sécurisé, pour que les actes
soient correctement saisis dans le strict respect de la nomenclature, et qu’ils
soient attribués au producteur réel et bien sûr facturées à l’AMO. Le phénomène
de sur cotation risque d’être plus fréquent et posera beaucoup de difficultés à
l’AMO. Il faut également faire attention aux disparités entre les différentes
spécialités. Les actes des spécialités médicales sont moins rémunérateurs que
ceux des spécialités chirurgicales. Ensuite, la fracture territoriale est telle
entre les régions qu’il y aura de très fortes disparités entre les revenus de
médecins de la même spécialité selon le lieu d’affectation. Enfin, il faut
tenir compte du fait que la tarification de l’hôpital public est inférieure à
celle appliquée dans le secteur privé, et qu’elle impactera le niveau des
rémunérations. Une attention particulière devra être accordée à la
rémunération des anesthésistes-réanimateurs. Lier leur rémunération à l’acte
les avantage énormément, ce qui explique que certains établissements privés
leur accordent des forfaits mensuels quasi similaires à des salaires. Enfin il
faut estimer correctement le budget global de ce mode de paiement flottant. Au
lieu de toute cette machine à gaz, il faut trouver un autre moyen,
pour motiver le personnel qui a été paupérisé pendant plusieurs années. Après
la revalorisation des salaires et des indemnités, une prime liée à la
productivité de l’ensemble du personnel serait une des pistes à explorer et
préférable au paiement à l’acte des seuls médecins. Ce sujet mérite plus de
réflexion.
De
plus, la place et le rôle de l’infirmier devraient être mieux redéfinis. Le
statut d’infirmiers en pratique avancée (IPA), devrait être créé pour aider
dans les déserts médicaux.
Enfin,
reste la question qui fâche : former pourquoi faire ? Les
postes budgétaires alloués annuellement n’ont rien à voir avec les besoins
exprimés par le Ministre et suffisent à peine au remplacement des départs à la
retraite. Actuellement, le manque de médecins anesthésistes réanimateurs dans
le secteur public, dont le nombre a fortement baissé de
250 à 200 en pleine crise du Covid, donne lieu à une grave crise sanitaire et à
une controverse juridique inédite entre le Ministre et les
infirmiers anesthésistes obligés de réaliser des opérations chirurgicales
urgentes sans la couverture médicolégale d’un médecin anesthésiste
réanimateur. Les infirmiers ne peuvent pas réaliser certains actes plus techniques
et moins risqués pour les patients, se plaignent du stress et du manque de
sécurité au travail. Il n’y a rien d’étonnant à voir autant de professionnels
choisir l’émigration, dont l’Etat porte la plus grande responsabilité.
Les patients devant subir des opérations non-urgentes, vont attendre que le
Ministre résolve le problème du manque inquiétant de médecins anesthésistes
réanimateurs et aussi de nombreuses spécialités chirurgicales, etc.
Les
instituions de concertation
Aucune
des six instituions de concertation prévues en 2011 n’a vu le jour. Elles ont
été supprimées, y compris le Comité d’éthique dont le rôle est
crucial. Il était attendu que l’autorité et l’indépendance de ce dernier soient
affirmées, et qu’il relève directement du Chef du Gouvernement.
La
Haute Autorité de la Santé (HAS), nouvellement créée, se voit confier trois
missions : le contrôle technique de l’AMO, l’évaluation de la qualité des
soins des établissements sanitaires et la délivrance d’avis sur les politiques
publiques dans le domaine de la santé. Cette formulation très succincte ne
renseigne pas sur les intentions réelles du Gouvernement. A cet effet, la
lecture des différentes déclarations du Ministre, donne quelques indications.
Il a affirmé que la HAS « aura la latitude de réguler l’AMO,
d’évaluer les politiques de santé que ce soit dans le public ou le privé d’accréditer
et de normaliser le secteur».
HAS
et /ou Agence Nationale d’Assurance Maladie (ANAM) ?
Pourquoi
lui confier la régulation de l’AMO, alors qu’elle était du ressort de l’ANAM d’après
la Loi 65-00 sur la Couverture médicale de base ? Il semble qu’on
confond la régulation du financement de l’Assurance maladie et
ses dizaines d’organismes gestionnaires, avec la HAS, autorité
scientifique, multidisciplinaire et indépendante, chargée de veiller
sur la qualité des soins et produits fournis par des dizaines
de milliers de professionnels, d’établissements des soins et d’autres
prestataires. La qualité des soins est le premier pilier de la Couverture
Sanitaire Universelle d’après l’OMS, le financement n’est qu’au cinquième rang.
La qualité concerne la prévention, les bonnes pratiques professionnelles, les
protocoles de soins, le service médical rendu des médicaments, des vaccins, des
dispositifs et des équipements médicaux, etc. Les deux institutions sont
indispensables et doivent rester distinctes. La HAS a une fonction de conseil
scientifique et l’ANAM a une compétence de régulation visant la pérennité et
l’équilibre financier de l’AMO. Mais si la future HAS assume ces deux grandes
missions, tout en conservant les mêmes faiblesses que l’ANAM, elle subira les
mêmes résistances et aura un sort identique. Et il faudrait dans ce cas
l’appeler haute autorité de la santé et de l’assurance maladie. (HASAM).
En
outre, si le but est de réformer l’ANAM, qui n’aurait pas réussi sa mission,
c’est parce qu’on lui a confié une mission et des attributions réduites par
rapport autres régulateurs. Ainsi, l’ANRT, la première et la plus célèbre des
institutions de régulation, jouit de plus d’indépendance et de moyens, elle est
placée sous la tutelle directe du Chef de Gouvernement, alors que l’ANAM relève
du Ministre de la Santé. L’utilité de l’ANAM est indiscutable à condition
qu’elle ait un pouvoir de sanction suffisamment dissuasif et qu’elle en fasse
un bon usage. Est-ce vraiment la volonté de l’Etat ? L’ANAM était engluée
dans la gestion directe du RAMED, jouant à la fois le rôle de régulateur et de
gestionnaire. Elle n’a pas à son actif de très grandes réalisations. Il lui a
été attribué l’échec de la dernière révision des tarifs, en 2020, malgré
l’annonce officielle des barèmes, alors que la tarification relève en dernier
ressort du Ministre qui la fixe par des d’arrêtés publiés au Bulletin Officiel.
Devant les réclamations relatives à certains tarifs, il avait affirmé devant la
Chambre des Conseillers qu’elle devait être Win-Win pour les patients et les
cliniques. Il a renvoyé dos à dos les deux protagonistes alors qu’il y a entre
eux une asymétrie abyssale. Il n’a pas pris ses responsabilités, en trois ans,
pour unifier la tarification ni pour réduire la part des malades (Out of
Pocket) actuellement de 50% des frais réellement engagés. Ce taux n’a pas varié
depuis deux décennies. D’ici 2035, la Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle
de Développement n’envisage de le ramener qu’à 30%. D’ici là, les patients à
faibles revenus, continueront à s’appauvrir en cas de maladie ou à renoncer aux
soins.
Le
juste coût
La
Loi Cadre n’évoque aucunement les coûts des soins « Le juste soin au
juste coût ». La HAS, nouvelle version, devrait déterminer
le juste coût en comparant nos tarifs à ceux des pays à revenus similaires et
parfois même à celui de certains pays riches. Les prix des médicaments ont subi
récemment des révisions par ce procédé. Parfois, ils coûtaient plus chers au
Maroc qu’en France ou en Belgique. C’est également le cas de certains actes
médicaux. Cette veille des tarifs et des prix devrait devenir permanente.
L’accréditation
L’évaluation
ou la certification de la qualité de l’ensemble des établissements de soins
figure parmi les attribuions de la HAS, mais elle est tout de suite renvoyée
(sous-traitée), à un « régime » autonome (n’ayant pas de
nom). Est-ce à dire que la HAS ne sera pas suffisamment
autonome et qu’elle n’a pas l’indépendance et la technicité pour s’en
charger ? Il semble que Pr Ait Taleb ait tiré les leçons des déboires du Pr Louardi, avec sa
tentative de réglementer l’accréditation, qui a été bloquée suite à
l’opposition virulente de certains représentants du secteur privé, l’obligeant
à stopper net le projet alors en phase d’étude. Les patients et les
justiciables font les frais, 67 ans après l’indépendance, de ces luttes
d’intérêts qui ne prennent pas en considération le besoin de disposer de normes
règlementaires officielles (publiées au Bulletin Officiel) relatives à la
qualité des soins comme constitutives du respect du droit à la vie et à
l’intégrité des patients, et aussi à la quiétude professionnelle des médecins
et des soignants. Il est à noter que certains établissements essayent de
respecter des normes internes. Le projet actuel ne fait pas référence aux
normes internationales, alors que l’OMS ne cesse de recommander des normes
efficaces et peu coûteuses.
Groupements
de Santé des Territoires (GST) et maillage territorial
Les
GST sont chargés de l’exécution de la politique de l’Etat dans le domaine de la
santé, mais dans le sens descendant (Top down = de haut en bas). Le réflexe
centralisateur domine le texte. Même la carte sanitaire est d’abord établie au
niveau national avant la mise en place localement. La carte ne peut être
actualisée qu’en cas de changement dans les orientations générales provenant de
la carte sanitaire nationale. Le sens ascendant (Bottom up = de bas en
haut) n’est pas prévu.
D’autre
part, dans la détermination des besoins de la population en prestations
sanitaires, les compétences des GST sont limitées au secteur public (Art 19).
Est-ce à dire que la carte sanitaire ne sera pas opposable au secteur privé
comme ce fut le cas avec la précédente Loi-Cadre ? C’est le premier
instrument de lutte contre les déserts médicaux, sinon l’offre restera
concentrée dans cinq ou six villes.
La
territorialisation de la politique de la santé, avec implication des
collectivités territoriales et notamment de la région n’est pas encore à
l’ordre du jour. Même la simple décentralisation continue de buter sur le refus
obstiné de transférer des attributions en matière de recrutement, d’achats, de
maintenance, dans l’affectation de cadres compétents dans les territoires, et ce
en contradiction avec le projet phare de la régionalisation avancée.
Avec
le schéma proposé par cette Loi Cadre, nous sommes encore à des années lumières
de la démocratie sanitaire où les patients et les usagers, représentés par des
associations compétentes, auraient pu jouer un rôle dans les GST.
La
digitalisation, le dossier médical partagé et le parcours des soins sont
regroupés
La
mise en place d’un système d’information sanitaire (SIS)
destiné « à l'évaluation de la dimension et de la qualité des soins »
était prévu en 2011, et visait aussi le recueil des données
relatives aux établissements des soins publics et privés. La grande question
est comment ce Ministère avec les moyens limités actuels, peut-il piloter,
l’acquisition, l’adaptation, le paramétrage, la qualité, la traçabilité, la
fusion des différentes applications existantes et la sécurité d’un système
intégré de l’ensemble des établissements de soins publics et privés ? A ce
jour, dans les hôpitaux, des reçus remis aux patients sont encore établis
manuellement par les caissiers des établissements de soins publics et dupliqués
par du papier carbone.
Il
faut signaler que la gestion de ce genre de projet va nécessiter plusieurs
années et de très nombreuses compétences : ingénieurs, data analystes,
techniciens, correspondants dans les principaux établissements, (ESSP, CHU,
hôpitaux préfectoraux, régionaux). A titre d’exemple, la mise
en place du SIS du CHU Averroès va durer plus de 40 mois avant son déploiement.
Et comme chaque CHU a déjà développé le sien, l’intégration et
l’homogénéisation de tous les systèmes d’information existants pourrait
nécessiter encore plus de temps. L’élaboration de manuels de procédures des
différentes fonctions (accueil, facturation, comptabilité, dossier patient, comptabilité,
gestion des stocks ; l’adaptation des imprimés nécessaires ; la
formation des utilisateurs, le déploiement, sont des opérations titanesques.
Pour accomplir cette tâche sur une très large échelle, le MSPS devrait recourir
à une grande campagne de recrutement de ces compétences convoitées
mondialement. Mr Lahlimi, le Haut-Commissaire au Plan (HCP) avait
annoncé en juillet dernier que « La véritable réforme de
l’administration ne peut se faire avec les salaires pratiqués actuellement »
mettant en doute les réalisations futures de la digitalisation. Il ne faut pas
non plus oublier les résistances au changement, du fait que la digitalisation
rend plus transparent les processus administratifs et réduit les possibilités
de corruption et de détournement.
De
plus, la sécurité du SIS doit être exigée dès la conception du système. La
France a subi près de 380 cyberattaques en 2021, ayant gravement perturbé le
fonctionnement normal des services et des hôpitaux concernés et surtout les
soins. Les hackers ont exigé des rançons et l’Etat s’est engagé à investir des
sommes considérables pour assurer la sécurité des systèmes
d’information.
Ensuite,
la digitalisation qui a une très grande importance pour l’avenir de la
médecine, à travers la healthcare data, sera confrontée à la résistance de
nombreux professionnels à communiquer les données de leur activité qui grâce à
la traçabilité, facilitera le repérage des erreurs de diagnostic et de
traitement ainsi que le renforcement du contrôle médical des organismes d’AMO.
Le secteur libéral aura peur de représailles fiscales pour les auteurs de
fausses déclarations. L’équité fiscale attendra. Le principe du secret médical
servira de paravent au début de cette longue bataille pour un peu plus de
transparence. Mais avant tout qui supportera les coûts faramineux d’équipement
et de connexion de tous ces professionnels ?
De
plus, l’imposition du Parcours coordonné des soins (PCS), (Art
29) sur tout le territoire tandis que les hôpitaux de proximité n’existent
pas partout, fera courir de longues distances (allant de 20 à 500 KM) aux
patients et à leurs familles pour aller à l’hôpital préfectoral, puis régional
avant d’atteindre si nécessaire, le CHU. C’est le cas actuellement des trois
régions sahariennes, de l’Oriental, de Draa-Tafilalet où le parcours des soins
relève du parcours du combattant. Le PCS doit être optimisé et bien expliqué
aux citoyens et au personnel avant d’être imposé. Sinon, il donnera lieu à de
véritables tragédies et à des renvois par les agents de sécurité de patients au
motif que leur domicile n’est pas du ressort territorial de l’hôpital.
Le
parcours des soins, imposant, dans le secteur privé, le passage obligatoire par
le médecin généraliste avant d’avoir l’accès aux médecins spécialistes, va se
heurter à de fortes résistances. Les notions clés de médecin réfèrent, de
famille ou traitant auraient dû être envisagées.
Conclusion
La
nouvelle Loi Cadre ne réforme pas en profondeur et d’une manière significative
le système. Elle le complexifie. Elle est même en recul par rapport
à l’ancienne dans le fond comme dans la forme. Elle subira les mêmes risques
d’échec que la précédente. Ces risques sont connus et prévisibles. En plus de
la digitalisation et du parcours des soins (Voir ci-dessus), il y aura des
batailles lors de l’élaboration des normes réglementaires d’hygiène, de
sécurité et de qualité et aussi autour de la composition de l’institution
chargée de l’accréditation des établissements de soins qui peut-être ne verra
pas le jour avant plusieurs années.
Devant
la permanence des méthodes, des règles du jeu, de l’attitude des acteurs, des
ressources, de la gouvernance, de l’éparpillement institutionnel, comment cette
Loi Cadre permettrait la réalisation des objectifs arrêtés pour la plupart il y
a onze ans ? Aucune analyse des raisons de l’échec n’a été présentée. Comment
détecter alors dans ce texte une nouvelle volonté politique pour changer
véritablement les choses ? C’est la gouvernance institutionnelle
et le management opérationnel qu’il faut changer pour réussir ce projet et non
pas l’adoption d’une Loi-Cadre. Surtout que les retards pris par l’Etat
dans la réforme progressive du secteur vont affaiblir sa position. Cette
faiblesse sera chèrement payée face aux pressions du secteur libéral, ayant
depuis étoffé son offre de soins alors que le nombre d’hôpitaux publics a très
peu progressé depuis plusieurs années. (152 en 2021).
Le
secteur privé marocain supplée aux carences du secteur public dans les plus
grandes villes, la responsabilité appartient à l’Etat qui n’assure pas ses
fonctions de régulateur, de producteur des normes et des tarifs, de contrôle et
de sanction pour non-respect de la Loi. Rappelant que dans la plupart des pays
occidentaux à économie libérale, c’est le secteur public qui est en première
ligne. La tarification et la cotation sont respectées par tous ceux qui y sont
soumis. L’aggravation des inégalités de par le Monde, durant cette période de
crise sanitaire, a démontré la pertinence de ces choix. La santé d’un pays
intermédiaire à faible revenu ne peut être régie majoritairement par des règles
quasi commerciales destinées au secteur privé, alors que la Loi affirme que la
médecine n’est pas un commerce.
Comment
va s’y prendre le Ministre pour gérer la formation ? Alors que l’apport de
son département à la très technique et lourde réforme de la Protection Sociale
reste limité puisque les tutelles administrative et financière des principaux
organismes d’AMO (CNSS et CNOPS) sont confiées au Ministère de l’Economie et
des Finances, tant les enjeux financiers dominent tous les autres aspects. Le
secteur même de la santé connait de très nombreux et graves dysfonctionnements
de l’aveu du MSPS, en août, devant la Commission Sociale de la Chambre des
Conseillers. Son analyse critique renvoie l’Etat devant ses
responsabilités historiques. Pourtant, les efforts du ministère dans certains
domaines, comme la prévention, le tabagisme, l'obésité ou
les accidents du travail sont très faibles et inefficients. La santé
est depuis longtemps l’un des trois premiers secteurs d’insatisfaction des
citoyens et parmi les plus gangrénés par la corruption (Transparency- Maroc).
Il
est à craindre que ce projet soit adopté sans aucun amendement, comme ce fut le
cas avec la Loi-Cadre sur la Protection Sociale qui a traversé tout le
processus législatif dans les deux chambres à la vitesse de l’éclair, sans le
moindre amendement. Elle n’a pas eu l’adhésion souhaitée, il a fallu dépenser
des sommes importantes dans la publicité. Dans la réussite de toute
législation relative aux droits sociaux, la convention 102 de l’OIT recommande
un débat ouvert et respectueux avec l’opinion publique, la société
civile et les partenaires sociaux. Sinon ces législations sont vouées à l’échec
ou elles n’auront que peu de chances d’atteindre les objectifs initiaux.
Comment
bien communiquer avec les professionnels de la santé formés au Maroc en langue
française, si l’actuelle Loi Cadre, comme celle relative à la Protection
Sociale (09-21) sont publiées uniquement en arabe contrairement à d'autres
présentées parfois le même jour ? De manière inédite le Secrétariat
Général du Gouvernement, dont c'est la mission, n’a toujours pas édité sur son
site la traduction officielle de la LC 09-21 en vigueur depuis un an et demi.
Mais
est-ce que ce projet répond aux caractéristiques d’un système national de
santé, plus proche, plus efficient, plus humain, plus inclusif, plus préventif
et au juste coût ?
Les
prochaines années nous le dirons. Comme nous devons attendre, dans quelques
jours, d’étudier le contenu du Projet de la Loi de Finances 2023, pour voir si
l’Etat dit social va se donner les moyens de ses nombreuses promesses.