TROIS QUESTIONS À SAÂD TAOUJNI : “IL FAUT REVOIR LES CRITÈRES D’ÉLIGIBILITÉ AVEC UNE APPROCHE FISCALE PLUS ÉQUITABLE BASÉE PRINCIPALEMENT SUR DES CRITÈRES DE REVENUS” Interview réalisée par Amine Machloukh L'OPINION.MA du 7 mars 2024
Saâd Taoujni, spécialiste en politique publique et Management de la Santé, a répondu à nos questions.
Nombreux sont les ex-ramedistes qui se sont vus exclure du régime de l’AMO Tadamon faute de répondre aux conditions prévues par la loi. Pensez-vous que les critères d’éligibilité sont pénalisants pour certaines catégories sociales ?
Ce n’est pas une loi qui a fixé les critères d’éligibilité mais un décret de nature réglementaire et surtout basé sur une formule mathématique élaborée par le Haut-Commissariat au Plan. À mon avis, les critères retenus pour évaluer l’éligibilité des personnes au régime de l’AMO Tadamon ne sont pas tous adaptés et produisent parfois des injustices puisqu’ils se basent souvent sur des éléments variables comme la consommation du gaz butane, d’eau, d’électricité, l’accès à un crédit ou à internet, le fait d’avoir une douche ou le bénéfice d’une pension même si elle ne dépasse pas 200 ou 300 DH. Cela dit, sous prétexte de lutter contre la fraude sociale, parfois des personnes démunies sont privées de l’accès à AMO Tadamon. Il existe des cas de travailleuses domestiques âgées ou de veuves sans enfant et démunies ayant hérité, par exemple, d’une petite part dans un logement social situé dans un quartier pauvre et sensible dans une grande ville comme Casablanca. A mon avis, il faut revoir la conception des critères de façon à garantir l’accès, le plus équitablement et largement possible, aux personnes en situation de précarité à la couverture médicale, pour que celle-ci ne soit pas interrompue pour défaut de paiement et qu’elle devienne réellement universelle.
Pensez-vous qu’il faut se concentrer davantage sur le revenu comme critère essentiel ?
Il ne fait aucun doute qu’il faut accorder plus d’importance au critère du revenu mais pour cela, il faut procéder à une profonde réforme fiscale, à un plan de lutte contre l’informel, à la réduction du cash en circulation, etc. Il faut disposer d’une définition claire de la classe moyenne. C’est d’un très grand chantier qu’il s’agit. Est-ce que notre pays le souhaite réellement ? En attendant, il faut privilégier le financement par l’impôt, comme des taxes sur les produits polluants ou nuisibles à la santé ou une TVA sociale.
Pensez-vous que le dispositif de ciblage permet d’identifier l’ensemble de la population cible ?
Pour ce qui est de l’AMO Tadamon, on a estimé la population démunie à 11 millions de bénéficiaires. Personnellement, il me semble qu’elle demeure sous-estimée. Je rappelle que, selon le ministre de la Santé, il y avait 16,5 millions de ramedistes. Gardons à l’esprit que le système de l’AMO Tadamon est variable du moment que l’entrée et la sortie du système sont très fréquentes. Je rappelle que près d’un million d’assurés principaux n’étaient plus couverts durant cinq mois à cause de l'expiration de la date de validité de la carte selon les déclarations du ministre Fouzi Lekjaâ à la Chambre des Conseillers. Un motif souvent évoqué dans les cas de refus. A mon avis, cet argument ne tient pas à l’ère de la digitalisation. En fait, les sorties sont dues à l’instabilité de la note attribuée (RSU) aux assurés, laquelle est très fluctuante selon la variation des données personnelles collectées par l’agence nationale des registres chez les différents opérateurs publics ou privés dans les domaines de téléphonie et d’internet, de crédits bancaires, de la conservation foncière, d’immatriculation des voitures et des motocycles, des régies distribution d’eau, d’électricité, etc. Cette instabilité entraîne la rupture des prises en charge et l’arrêt des soins, souvent de maladies chroniques, après un petit délai. Le ciblage pose encore de nombreux problèmes. Des personnes réellement démunies ne bénéficient pas de l’AMO Tadamon.
AIDES DIRECTES / AMO : DES SEUILS DIFFÉRENTS
Force est de constater que la note nécessaire pour accéder à l’AMO Tadamon (9,32) est inférieure à celle de l’Aide Sociale Directe (9,74). Selon Saâd Taoujni, cette différence aboutit au fait que des personnes éligibles aux aides de l’Etat soient obligées d’en affecter une partie au paiement des cotisations à AMO Achamil. “Il est nécessaire de rappeler que l’AMO Achamil, qui est étonnamment facultative, ne va pas aider à l’atteinte des deux premiers objectifs de la Loi-Cadre 09-21, à savoir l’obligation et la généralisation de l’AMO à tous les Marocains”, explique Saâd Taoujni, qui appelle à consentir davantage d’efforts pour assurer une véritable couverture universelle.
https://www.lopinion.ma/Couverture-sociale-Quand-le-scoring-prive-les-demunis-de-l-AMO--INTEGRAL_a51223.html?fbclid=IwAR3SIUjAORFncI1z3aQaF9VKhT-yOwQEznXP5e-c4RcZoAVazqkim1JQhYE
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